Fidèle à ses habitudes, la justice militaire congolaise a mené le procès en un temps record. Ouvert le lundi 25 octobre sur les lieux des faits allégués, au village de Mayi Munene, à une trentaine de kilomètres de Tshikapa, capitale de la province du Kasaï, le procès s’est clôturé le samedi 30 octobre.
L’affaire concerne les actions d'une milice qui a mis à feu et à sang plusieurs villages de la région, en particulier ceux de Mayi Munene et Lusuku, au cours de l’année 2017. Exécutions sommaires par décapitation, pillage et habitations incendiées : telles sont les exactions pour lesquelles Tshimputu Mandefu et Annie Ntumba sont poursuivis. Selon l’accusation, le premier était chef de village et chef de milice tandis que la seconde, sa femme, était la gardienne des fétiches des miliciens. Les chefs d’accusation : crimes de guerre par meurtre et participation à un mouvement insurrectionnel.
Reconnu coupable de toutes les charges portées contre lui, Mandefu a été condamné à la peine de mort. Ntumba, jugée coupable du seul chef de participation à un mouvement insurrectionnel, n’a écopé que de quatre ans de prison, le tribunal ayant par ailleurs retenu de larges circonstances atténuantes dans son cas. Sur la soixantaine de victimes qui s’étaient portées parties civiles, seulement dix-huit ont été reconnues comme telles par le tribunal. Le chef Tshimputu a été condamné à leur verser collectivement 80 000 dollars américains.
« Avant le procès, les victimes avaient l’impression d’être oubliées »
« Les victimes ont accueilli ce jugement avec un réel enthousiasme, c’était des applaudissements dans les villages », raconte Isaac Tambwe, bâtonnier de Tshikapa, qui a coordonné l’équipe des avocats des parties civiles. « Ce jugement est une première au Kasaï. Il y a d’autres affaires en préparation. Nous avons identifié une dizaine de dossiers prioritaires. Nous avons opté pour des audiences sur les lieux des faits, dans un but pédagogique, pour que les criminels comprennent que l’impunité ne peut plus être tolérée », poursuit-il. Certes, Me Tambwe doute que le condamné Tshimputu ait les moyens de payer la somme établie par les juges mais il montre néanmoins sa satisfaction. « Avant le procès, les victimes avaient l’impression d’être oubliées. Maintenant, justice a été rendue. »
L’avocat de la défense François Ngalamulume, lui, ne le pense qu’à moitié. Pour Annie Ntumba, il se dit satisfait puisqu’elle a été libérée après le jugement, ayant déjà passé en détention préventive les quatre ans auxquels elle vient d’être condamnée. « Toutefois, il faut souligner qu’il n’y a pas eu, au procès, de démonstration de fétichisme. On n’a pas vu ces fétiches. Quelle est leur couleur ? Quelle est leur taille ? Tout cela se trouve dans l’imaginaire des gens », dit-il dans un entretien téléphonique. Quant à son client Tshimputu, « le tribunal est allé très loin, la peine est trop sévère », explique-t-il. « Aucun témoin n’a déclaré avoir vu Tshimputu commettre ces crimes. Et puis, notre client n’a jamais été chef de village. Cela reste une présomption. Il a demandé que le tribunal se transporte sur les lieux, dans le village, pour confirmer ou infirmer cette présomption mais les juges ont refusé. » L’avocat fait donc appel.
Kamuina Nsapu, une nébuleuse de milices locales
Si au moins un procès pour les crimes graves commis dans le cadre du conflit dit de Kamuina Nsapu s’est déjà tenu dans la province voisine du Kasaï central, celui-ci est le premier à avoir lieu dans la province du Kasaï. Le mouvement Kamuina Nsapu ne constituait pas un seul groupe homogène mais une nébuleuse de milices établies dans les différents territoires et provinces des Kasaï, qui se sont revendiquées de Kamuina Nsapu sans forcément être toutes liées du point de vue organisationnel et hiérarchique.
L’origine de cette insurrection remonte au 22 août 2016 quand Jean-Pierre Mpandi, le « Kamuina Nsapu » ou chef du clan des Bajila Kasanga, dans la province du Kasaï Central, est tué d’une balle lors d’une opération des forces nationales de sécurité. Pour venger leur chef, des miliciens désormais appelés « Kamuina Nsapu » brûlent des bâtiments administratifs, attaquent et tuent des militaires, des policiers et d’autres représentants du pouvoir central. De fil en aiguille, les violences s’étendent, alimentées par le ralliement de nombreux jeunes venant d’autres ethnies et d’autres régions voisines. Tshimputu et sa femme ont donc appartenu à une milice créée localement dans le contexte de cette insurrection.
Très rapidement, le conflit a pris une connotation interethnique. En effet, dans leurs représailles, les forces de défense et de sécurité se sont appuyées sur une autre milice, les Bana Mura, composée de membres des ethnies Tchokwe, Pende et Tetela. Les affrontements entre, d’une part, les miliciens Kamuina Nsapu et, d’autre part, les forces de sécurité et les milices Bana Mura ont fait plus de 3 000 morts et 1,4 million de déplacés entre 2016 et 2017, selon les Nations unies.
Quid des responsables dans l’armée ?
Mais qu’en est-il des poursuites pour les crimes commis par les militaires congolais durant le conflit au Kasaï ? « Les dossiers sont en cours. La justice est en train de faire son travail, aucun criminel, quel que soit son rang, ne sera épargné », répond avec optimisme le bâtonnier Tambwe. « Il y a d'autres enquêtes en cours, à la fois dans la province du Kasaï et la province du Kasaï central, pour des crimes commis dans le conflit Kamuina Nsapu. Ces enquêtes visent des miliciens et des éléments des forces de sécurité congolaises », indique Daniele Perissi, de l’ONG suisse TRIAL International, déjà présente dans les procès se tenant dans l’est de la RDC et qui vient de commencer à travailler aux Kasaï. « Nous espérons que ces enquêtes puissent aboutir et que d'autres procès se tiennent dans les prochains mois et années », ajoute-t-il.
Membre d’une équipe d’experts internationaux nommés par l’Onu sur la situation au Kasaï, Marie-Thérèse Keita-Bocoum a recommandé, devant la presse à Genève, le 6 octobre, la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle qui « inclut forcément la justice pénale » mais « aussi d’autres mécanismes non judiciaires qui permettront de réparer les torts qui ont été commis aux victimes » et « permettront aussi une réparation collective ». Pour l’heure, le travail repose surtout sur les épaules de la justice militaire, comme c’est déjà le cas à l’est du pays, dans les régions du Kivu.