« La Fédération de Russie doit immédiatement suspendre les opérations militaires spéciales qu'elle a commencées le 24 février 2022 », déclare la présidente du tribunal, Joan E. Donoghue, en regardant directement la caméra qui retransmet en direct l'audience depuis le Palais de la Paix, à La Haye.
Dans une décision rendue par 13 voix contre 2, la Cour internationale de justice (ICJ) a largement fait droit, le 16 mars, à la demande de mesures conservatoires que l'Ukraine avait sollicitées trois jours après que les forces russes eurent commencé leur invasion à grande échelle du pays. Kiev a fait valoir que la Russie avait violé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, communément appelée Convention sur le génocide, en prétendant à tort que l'Ukraine était engagée dans un génocide contre les russophones dans la partie orientale du pays.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a immédiatement salué cette décision sur Twitter. « L'Ukraine a remporté une victoire complète dans son procès contre la Russie devant la Cour internationale de justice », a-t-il écrit. Son équipe juridique à La Haye était également très heureuse du résultat. « C'est une victoire pour le droit international et pour le peuple ukrainien », a déclaré à la presse Oksana Zolotaryova, du ministère ukrainien des Affaires étrangères, depuis les marches du Palais de la Paix.
Invoquer la Convention sur le génocide
L'Ukraine a demandé à la Cour un certain nombre de mesures destinées à étouffer le conflit. Kiev souhaitait que la Russie cesse son invasion, évite toute action susceptible d'aggraver le conflit et informe régulièrement la Cour de ses progrès.
Finalement, la Cour a ordonné à la Russie de faire deux choses : suspendre immédiatement les opérations militaires et veiller à ce que ses unités militaires ou tout autre unité ou individu qu’elle contrôle prennent des mesures pour ne pas aggraver le conflit. Dans une troisième mesure, la Cour a également demandé aux deux pays de s'abstenir de toute action susceptible d'aggraver le conflit. Elle n'a pas accédé à la demande de l'Ukraine d’ordonner des mises à jour régulières. « Les mesures ne doivent pas nécessairement être identiques à celles demandées », a déclaré la juge Donoghue.
L'Ukraine ne prétend pas que la Russie commet un génocide contre les Ukrainiens. Elle soutient plutôt que la Russie a menti sur la justification de son invasion et que, ce faisant, elle a violé la Convention sur le génocide. « Le mensonge est la revendication par la Fédération de Russie d'un génocide en Ukraine. Les conséquences sont une agression non provoquée, des villes en état de siège, des civils sous le feu, une catastrophe humanitaire et des réfugiés fuyant pour sauver leur vie », a déclaré David Zionts, membre de l'équipe juridique de l'Ukraine, lors d'une audience la semaine dernière devant la Cour.
Alors que le crime d'agression - l'invasion pure et simple d'un autre pays - est interdit par la Charte des Nations unies, ni la Russie ni l'Ukraine n'ont signé de déclaration donnant une telle compétence à la Cour, ce qui oblige l'Ukraine à trouver une autre voie pour saisir le tribunal de La Haye. La Convention sur le génocide, créée en réponse aux horreurs de l'Holocauste, interdit le génocide et a été signée par 152 pays, dont la Russie et l'Ukraine.
Une victoire symbolique
La Russie a boycotté l’audience sur la demande de mesures provisoires la semaine dernière, affirmant que la plainte de l'Ukraine était frivole. L'ambassadeur de Russie aux Pays-Bas, Alexander Shulgin, a informé le tribunal que « son gouvernement n'avait pas l'intention de participer à la procédure orale ». Le représentant de l'Ukraine, Anton Korynevych, a déclaré que l'absence de la Russie était révélatrice. « Le fait que les sièges de la Russie soient vides est très éloquent. Ils ne sont pas ici devant cette cour de justice : ils sont sur un champ de bataille en train de mener une guerre agressive contre mon pays », a-t-il déclaré à la cour dans sa déclaration d'ouverture, la semaine dernière.
Moscou a ensuite présenté des arguments écrits, affirmant que la Cour n'était pas compétente dans cette affaire. Mais la Cour précise que, à ce stade, « elle n'a pas besoin de s'assurer de manière définitive qu'elle est compétente en ce qui concerne le fond de l'affaire ». Le jugement du 16 mars ouvre la porte à la possibilité d'autres actions en justice. Lorsqu'on lui demande si l'Ukraine envisage d'autres options pour se plaindre des actions de la Russie devant la CIJ, Zolotaryova refuse de spéculer. « Nous ne voulons pas dévoiler tout notre plan », déclare-t-elle.
Rares sont ceux qui pensent que Moscou se conformera à l'ordonnance de la CIJ. L'Ukraine a déclaré qu'elle donnerait 24 heures à la Russie pour se conformer à la décision et le président Zelensky a appelé la Russie à le faire. « La Russie doit s’y conformer immédiatement. Ignorer l'ordonnance isolera encore plus la Russie », a-t-il déclaré sur Twitter.
La Cour ne dispose d'aucun mécanisme d'exécution de ses décisions. Elle peut renvoyer les pays qui refusent de s’y conformer devant le Conseil de sécurité des Nations unies, où la Russie dispose d'un siège permanent et opposerait presque certainement son veto à toute action contre elle.
"Nous sommes engagés dans une guerre juridique"
Dans son ordonnance, la CIJ dit avoir « bien conscience de l’ampleur de la tragédie humaine qui se déroule en Ukraine et nourrit de fortes inquiétudes quant aux victimes et aux souffrances humaines que l’on continue d’y déplorer. La Cour est profondément préoccupée par l’emploi de la force par la Fédération de Russie en Ukraine, qui soulève des problèmes très graves de droit international. »
Des manifestants qui s'étaient rassemblés devant la CIJ avec des drapeaux ukrainiens et des banderoles disant "Stop Poutine" sont satisfaits que le tribunal se soit prononcé contre la Russie. « C'est le tribunal de l'Onu et il dit que Poutine doit s'arrêter. C'est important », dit une femme ukrainienne qui ne veut pas être identifiée par son nom. Elle vit à proximité et est venue avec deux voisins pour montrer leur soutien à son pays.
L'action en justice de l'Ukraine devant la CIJ s'inscrit dans une stratégie plus large. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a émis une série de mesures similaires à l'encontre de la Russie il y a deux semaines, après que l'Ukraine a porté plainte devant cette juridiction basée à Strasbourg. (Moscou n'a fait qu'intensifier ses attaques contre son voisin depuis lors.) « Nous sommes engagés dans une guerre juridique, la Russie est engagée dans une guerre », déclarait le représentant de l'Ukraine, Korynevych, aux journalistes avant l'audience de la CIJ, la semaine dernière. Depuis, le Conseil de l'Europe, organe chapeautant la CEDH, a exclu la Russie, citant l'invasion comme preuve que Moscou ne participait plus à l'ordre juridique international.
Mercredi, juste avant l'annonce de la décision, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) s'est rendu en Ukraine pour une visite surprise à Zelensky. Les deux hommes se sont rencontrés virtuellement pour discuter de l'enquête en cours de la Cour sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité en Ukraine. « Je suis heureux d'avoir eu des échanges importants avec le président pendant mon séjour dans le pays. Nous avons convenu que tous les efforts sont nécessaires pour garantir le respect du droit humanitaire international et protéger la population civile », a déclaré le procureur Karim Khan, dans un communiqué après la rencontre.
La CPI, seule cour pénale permanente au monde pour de tels crimes, a ouvert une enquête le 2 mars après 8 ans d' "examen préliminaire" au cours desquels elle n'a pris aucune mesure. Dans les jours qui ont suivi l'invasion, 41 pays - un record - ont saisi la Cour.
Une Convention sur le génocide interprétée à l’envers
Notant que l'Ukraine considère que « la Fédération de Russie ‘a inverti le propos de la
convention sur le génocide’, en formulant une allégation mensongère de génocide pour commettre des actes qui constituent de graves violations des droits humains de millions de personnes sur l’ensemble du territoire ukrainien », les juges de la CIJ constatent que « depuis 2014, divers organes de l’Etat et hauts représentants russes ont évoqué, dans des déclarations officielles, la commission d’actes de génocide par l’Ukraine dans les régions de Louhansk et de Donetsk. La Cour observe en particulier que le comité d’investigation de la Fédération de Russie — organe public officiel — a engagé, depuis 2014, des poursuites pénales contre de hauts fonctionnaires ukrainiens à raison d’actes allégués de génocide contre la population russophone habitant les régions susmentionnées ‘en violation de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide’. » Le tribunal poursuit : « Dans son allocution, prononcée le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie (...) précisait que l’opération spéciale avait pour «objectif» de «protéger ceux et celles qui, huit années durant, [avaient] subi les outrages du régime de Kiev et le génocide orchestré par lui». Il ajoutait que la Fédération de Russie devait mettre fin «au génocide» perpétré contre des millions de personnes et qu’elle traduirait en justice les auteurs des nombreux crimes sanglants perpétrés contre des civils, dont des citoyens russes. »
L'ordonnance des juges précise que la CIJ « ne dispose pas d’éléments de preuve étayant l’allégation, par la Fédération de Russie, qu’un génocide aurait été commis sur le territoire ukrainien. En outre, il est douteux que la convention, au vu de son objet et de son but, autorise l’emploi unilatéral de la force par une partie contractante sur le territoire d’un autre Etat, aux fins de prévenir ou de punir un génocide allégué. Dans ces circonstances, la Cour considère que l’Ukraine a un droit plausible de ne pas faire l’objet d’opérations militaires par la Fédération de Russie aux fins de prévenir et punir un génocide allégué sur le territoire ukrainien. »
« La soumission de la Russie est assez divertissante », commente Melanie O'Brien, professeure de droit à l'Université d'Australie occidentale et experte de la Convention sur le génocide. Selon elle, les arguments de la Russie sont davantage destinés au public russe qu’à convaincre les juges de sa position.
Les juges russe et chinois votent contre
Cependant, une lecture plus attentive des opinions dissidentes et séparées jointes à l'ordonnance de la CIJ donne un aperçu plus complexe des débats au sein de la cour et de la manière dont les sensibilités politiques des juges peuvent jouer.
Les juges russe et chinois ont voté contre les deux principales mesures. Le juge russe Kirill Gevorgian, qui est également vice-président de la Cour, affirme que la CIJ n'est pas compétente dans cette affaire. « Il est évident que le différend que l'Ukraine cherche à porter devant la Cour concerne en réalité l'usage de la force par la Fédération de Russie sur le territoire ukrainien. Or, l'usage de la force n'est pas réglementé par la Convention sur le génocide et ne constitue pas en soi un acte de génocide », écrit-il dans une déclaration.
La juge chinoise Hanqin Xue a également tendance à illustrer le jeu d'équilibre de la Chine sur la guerre en Ukraine. « Si je souscris pleinement à l'appel à mettre immédiatement fin aux opérations militaires en Ukraine afin de rétablir la paix dans le pays ainsi que dans la région, je réserve ma position sur les deux premières mesures provisoires indiquées dans cette ordonnance. (...) Plus important encore, compte tenu des circonstances complexes qui sont à l'origine du conflit entre l'Ukraine et la Fédération de Russie, les mesures que la Fédération de Russie est seule à devoir prendre ne contribueront pas à la résolution de la crise en Ukraine. La Cour, à mon avis, devrait faire preuve de prudence en accueillant la demande présentée par l'Ukraine et éviter de préjuger du fond de l'affaire. (...) L'affirmation de l'Ukraine selon laquelle l'allégation de génocide de la Fédération de Russie contre l'Ukraine n'est qu' 'une excuse pour l'agression illégale de la Russie' fait douter qu'il s'agisse d'une véritable affaire de génocide. »
Selon elle, « l'affirmation de l'Ukraine (...) est fondée sur une interprétation erronée de la position de la Fédération de Russie sur ses opérations militaires. Le document communiqué par la Fédération de Russie à la Cour montre que les fondements juridiques que la Fédération de Russie invoque pour ses opérations militaires sont l'article 51 de la Charte des Nations Unies sur la légitime défense et le droit international coutumier. (...) Bien que la Fédération de Russie ait fait référence aux actes génocidaires présumés commis dans les régions ukrainiennes de Louhansk et de Donetsk dans ses déclarations officielles, il apparaît que la question du génocide présumé n'est pas seulement un aspect d'un problème politique plus large entre les deux États qui peut être examiné séparément, ou la raison même pour laquelle la Fédération de Russie a lancé des opérations militaires contre l'Ukraine, comme le prétend l'Ukraine ; elle fait partie intégrante du différend entre la Fédération de Russie et l'Ukraine sur la question de la sécurité dans la région. » En conséquence, la juge chinoise déclare qu'il n'y a pas de base juridique plausible pour les griefs de l'Ukraine aux termes de la Convention sur le génocide.
« Ce n'est pas la première fois que la Cour est confrontée à une situation tragique causée par l'usage de la force », poursuit la juge Xue. « La présente ordonnance, à mon grand regret, préjuge du fond de l'affaire (...). En outre, dans le contexte d'un conflit armé, on peut se demander comment ces mesures provisoires peuvent être utilement et efficacement mises en œuvre par une seule Partie au conflit. »
Il apparaît que les juges russe et chinois ont accepté de voter en faveur de la troisième mesure - s'abstenir de toute action susceptible d'aggraver ou d'étendre le différend ou de rendre plus difficile sa résolution - notamment parce qu'elle s'adressait à la fois à la Russie et à l'Ukraine.
L'OTAN s'invite dans le débat
Le juge marocain Mohamed Bennouna a voté en faveur de l'ordonnance parce que « dans cette situation tragique où de terribles souffrances sont infligées au peuple ukrainien, je devais me joindre à un appel de la Cour mondiale pour arrêter la guerre ». Mais il ajoute rapidement qu'il n'est « pas persuadé que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide a été conçue, puis adoptée, en 1948, pour permettre la saisine de la Cour par un pays, comme l’Ukraine, d’un différend relatif à des allégations de génocide, proférées à son encontre par un autre pays, comme la Fédération de Russie, même si ces allégations devaient servir de prétexte à un recours illégal à la force. » Selon lui, « La Cour n’est manifestement pas parvenue » à établir qu'une quelconque des dispositions de la Convention sur le génocide s'applique ici.
Il critique également ce qu'il considère comme une dérive de l'application du droit, faisant référence aux interventions de l'OTAN au Kosovo en 1999 ainsi qu'en Libye en 2011. « Les forces de l’OTAN se sont écartées de leur mission initiale, en privilégiant un changement de régime dans ce pays », écrit-il. Selon lui, l'affaire introduite en 1999 par la Serbie contre les frappes de l'OTAN au Kosovo était « proche de la présente espèce, dans la mesure où, dans l’un et l’autre cas, le demandeur a invoqué la convention sur le génocide, dans un contexte de recours illicite à la force de la part du défendeur ». Il note qu'à l'époque, la CIJ avait jugé qu'elle n'était pas compétente. Comme l'a souligné sa collègue chinoise, le juge Bennouna rappelle que les États « demeurent en tout état de cause responsables des actes contraires au droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur seraient imputables ». Mais « il n’en demeure pas moins que le fait de rattacher artificiellement un différend, relatif au recours illégal à la force, à la convention sur le génocide est loin de renforcer ce texte. »
Le juge allemand Georg Nolte tient, lui, à souligner qu'il n'est pas d'accord avec l'argument selon lequel l'affaire yougoslave de 1999 était similaire. Dans cette affaire, « ni l'État requérant [la Serbie, alors connue sous le nom de République fédérale de Yougoslavie] ni les États défendeurs [l'OTAN] n'ont déclaré devant la Cour que le recours à la force par les États défendeurs avait pour but de prévenir un prétendu génocide. En l'espèce, au contraire, la Fédération de Russie a formulé des allégations selon lesquelles l'Ukraine commettrait un génocide et a affirmé que son "opération militaire spéciale" avait pour but de prévenir un génocide. (...) L'objet de la requête de la République fédérale de Yougoslavie en 1999 était de savoir si le recours à la force par les Etats intervenants équivalait à un "génocide". En revanche, en l'espèce, l'objet de la requête porte sur la question de savoir si les allégations de génocide et les opérations militaires entreprises dans le but déclaré de prévenir et de punir le génocide sont conformes à la convention sur le génocide. Il est vrai qu'en 1999, certains Etats défendeurs n'ont pas été loin de justifier leur recours à la force en déclarant que leurs actions avaient été entreprises dans l'intention de prévenir un génocide et que certains de leurs représentants avaient formulé des allégations de génocide dans ce contexte. Toutefois, de telles justifications ne constituaient pas le but déclaré des opérations militaires par les États défendeurs, et ce but n'a pas été perçu ainsi par l'État requérant. »
Au-delà du différend juridique, il n'échappera pas à certains acteurs que le Maroc n'est pas membre de l'OTAN alors que l'Allemagne l'est.
Le juge français défie directement Poutine
Le juge jamaïcain Patrick Robinson approuve pleinement l'ordonnance. Mais concernant la troisième mesure, il écrit que, selon lui, « il n'y a aucune justification pour diriger cette mesure contre l'Ukraine. Elle aurait dû être dirigée uniquement contre la Fédération de Russie. » Il trouve également « regrettable » qu'une quatrième mesure provisoire demandée par l'Ukraine - que la Cour ordonne à la Fédération de Russie de « rendre compte à la Cour des mesures prises pour exécuter l’ordonnance en indication de mesures conservatoires dans un délai d’une semaine à compter de la date de celle-ci, puis à intervalles réguliers, dans les délais qui seront fixés par la Cour » - n'ait pas été accordée. « Compte tenu de la très grave situation en Ukraine causée par l' 'opération militaire spéciale', il aurait été avantageux pour la Cour d'examiner les rapports périodiques de la Russie sur sa mise en œuvre des mesures conservatoires et de rendre les ordonnances appropriées », écrit-il.
Ces déclarations individuelles ou opinions séparées sont rédigées dans un langage clairement juridique. Il en est tout autrement avec le juge français Yves Daudet, qui a été choisi par l'Ukraine parce qu'elle n'avait aucun juge dans le panel.
Comme le juge Robinson, le juge Daudet déclare que « cette mesure de non aggravation du différend aurait dû viser la seule Fédération de Russie, dont je rappelle qu’elle a été désignée par l’Assemblée générale des Nations Unies comme l’auteur d’une agression contre l’Ukraine. (...) Je tiens à préciser ici que ce vote, pour ce qui concerne l'Ukraine, est à mes yeux dépourvu de toute signification. En effet, c’est aller contre l’évidence de penser que l’Ukraine est susceptible 'd’aggraver' le conflit alors que la réalité montre que seule la Fédération de Russie ne cesse d’amplifier les opérations militaires et de les rendre chaque jour plus douloureuses et tragiques pour un nombre croissant d’Ukrainiens. »
Puis le juge français se lance dans un plaidoyer sans détour sur le sort de l'Ukraine. « La défense héroïque des Ukrainiens, militaires et civils, se déroule de façon totalement déséquilibrée dans le cadre d’un conflit inégal marqué par de nombreuses et profondes violations du droit international et du droit humanitaire imputables à un seul côté — la Fédération de Russie —, disposant de moyens militaires dont l’autre côté — l’Ukraine — est privé, en sorte que les possibilités d’aggravation ne peuvent provenir que du premier. Dans le conflit actuel, il est clair que l’aggravation manifeste du conflit, telle qu’on la voit se développer de jour en jour, tient en grande partie (mais pas seulement) à la maîtrise du ciel par l’aviation russe, qui peut bombarder tous les objectifs auxquels elle décide de s’attaquer dans des régions de l’Ukraine de plus en plus nombreuses. L’Ukraine ploie sous les bombes et ne peut mener qu’une guerre défensive et résister le mieux qu’elle le peut contre une attaque conduite par la deuxième armée du monde. Si l’opération militaire russe se déroule moins facilement que le président Poutine ne l’espérait, ce n’est certainement pas parce que les Ukrainiens aggravent le conflit ni qu’ils risquent de le faire mais simplement parce qu’ils témoignent d’un courage et d’une détermination qui font l’admiration du monde. J’espère qu’ils ne ressentiront pas la position retenue par la Cour comme une forme d’injure faite à leur courage, ce qu’elle ne veut évidemment pas être. »
Puis il s'adresse de manière beaucoup plus directe au président russe. « Il convient enfin de rappeler que, de plus en plus souvent, les victimes de plus en plus nombreuses sont à déplorer au sein de la population civile, parmi les femmes et les enfants, victimes de la cruauté indicible d’un chef d’État dont les desseins violent les principes les plus élémentaires de toute humanité et de toute civilisation. » Les Ukrainiens « veulent la paix et leur État s’est tourné vers la Cour pour l’obtenir par les voies du droit international. (...) L’opinion publique a été informée par les médias de la saisine de la Cour par l’Ukraine et nombreux sont ceux qui ont placé leur espoir dans la voix du droit international que porterait la Cour mondiale. Je crois pouvoir penser que cette ordonnance répondra à leurs attentes légitimes. A cet espoir, j’ajouterai un vœu : on ne saurait reprocher au président Poutine de se référer volontiers à l’histoire de la Russie et parfois à la période de l’Empire. Je forme le vœu qu’il se souvienne de l’initiative du tsar Nicolas II convoquant à La Haye en 1899 la première conférence de la paix, pierre angulaire de l’édification d’un ordre mondial en vue de la paix et du règlement pacifique des différends. »