"Les personnes assassinées étaient d'humbles paysans, des travailleurs, des pères, des maris, des frères, de bons êtres humains, des citoyens colombiens. Ils n'étaient pas des rebelles, ils n'étaient pas des terroristes, ils n'étaient pas des bandits et ils n'étaient pas des délinquants, alors que nous les avons malheureusement fait passer pour tels", déclare d'une voix grave Santiago Herrera, colonel à la retraite et ancien commandant de la 15e brigade mobile de l'armée colombienne. "Il y avait une bande criminelle au sein de la brigade dont j'avais connaissance, mais que je ne l'ai pas dénoncée et je n'ai pas enquêté sur elle", appuie Rubén Darío Castro, un autre colonel à la retraite qui a travaillé dans la même unité militaire. "Ce ne sont pas des erreurs, ce ne sont pas des dommages collatéraux, comme nous l'avons dit. Ce ne sont pas des excès de force. Ce sont clairement des assassinats", reconnaît Álvaro Tamayo, également colonel à la retraite et ancien chef du 15e bataillon d'infanterie Francisco de Paula Santander. "Cela m'a conduit à devenir un meurtrier", dit plus laconiquement le sergent retraité Sandro Pérez.
Devant eux, les gens écoutent dans un silence si écrasant que, de temps en temps, le son des cloches de la cathédrale d'Ocaña, à un pâté de maisons de là, parvient jusqu'à l’amphithéâtre de l'université Francisco de Paula Santander. Dans le même mutisme, les inculpés - sept officiers, trois sous-officiers et un civil - écoutent une trentaine de parents des jeunes hommes âgés de 25 à 35 ans qui ont été assassinés il y a dix ans dans différentes parties de la région montagneuse de Catatumbo. Beaucoup d'entre eux sont morts à quelques kilomètres de l'auditorium où se déroule, les 26 et 27 avril, cette audience publique de deux jours, dans ce qui représente l’une des réalisations les plus tangibles à ce jour de la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) et du système de justice transitionnelle né après l'accord de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), en 2016.
Il s'agit d'une scène sans précédent en Colombie. Les dix anciens responsables de l'armée colombienne s’avancent derrière un pupitre et admettent pour la première fois devant les familles des victimes qu'ils ont été responsables du meurtre de 120 civils, qu’ils ont fait passer illégalement pour des rebelles tués dans des combats qui n'ont jamais existé. Un par un, ils prennent le micro pour dire qu'ils assument certaines des accusations les plus répréhensibles du droit international. Ces 120 exécutions extrajudiciaires, plus 24 disparitions forcées et une tentative d'assassinat - toutes survenues entre 2007 et 2008 à Catatumbo - ont en effet été qualifiées par la JEP de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.
Les appels sincères des victimes à leurs bourreaux
Les victimes attendaient ce moment depuis longtemps. "Aujourd'hui est le jour où je peux exprimer le sentiment que j'ai retenu pendant 15, presque 16 ans", leur dit Soraida Navarro, dont le père Jesús Emilio est toujours porté disparu.
Un groupe important de victimes qui ont pris la parole le premier jour provient de villages éloignés de Catatumbo. Un autre, le lendemain, vient de cinq villes pour rejoindre cet endroit même où, il y a des années, nombre d'entre elles ont dû récupérer les dépouilles de leurs fils, dont certains avaient été trompés d'aussi loin que Soacha, à 635 kilomètres de là, avant d'être tués ici. Unis par cette tragédie, qui a horrifié les Colombiens depuis 14 ans et qui est connue sous l'euphémisme de "faux positifs", les victimes ont choisi ce jour-là de porter un même uniforme.
Elles sont habillées de T-shirts noirs, avec une illustration jaune au centre : la fresque que les Mères des faux positifs, l'une des organisations de victimes, a placée comme symbole de leur quête dans tout le pays (et qui est souvent effacée des rues colombiennes juste après avoir été peinte). Elle représente les visages peints au pochoir de 14 officiers supérieurs de l'armée au cours des deux dernières décennies, dont le général Paulino Coronado qui est, ce jour-là, assis juste en face d'eux. En grandes lettres apparaît leur vieux slogan - "Qui a donné l'ordre ?" -, ainsi qu'un chiffre qu'ils n'ont adopté que l'année dernière : 6 402, soit le nombre de civils qui - selon la JEP - ont été tués par l'armée dans le cadre de cette pratique criminelle entre 2002 et 2008, sous la présidence d’Álvaro Uribe.
Certaines en personne, d'autres par vidéo et une depuis son exil forcé à la suite de menaces liées à cette affaire, les victimes exposent respectueusement leurs demandes. Et tout en faisant cela, elles leur montrent les visages de leurs proches, sur des photos accrochées à leur poitrine, sur des chemises enfilées sous leurs vêtements noirs et, dans un cas, tatoué sur un bras.
Pourquoi la personne citée pour le meurtre de Joselin Jaimes est-elle toujours un major en activité, demande sa fille Maira. Comment ont-ils pu tuer un patient psychiatrique comme son frère Martín, demande Álvaro Marulanda. Iraient-ils au Congrès pour stopper les promotions des personnes impliquées, demande Gloria Martínez, qui a dû quitter son emploi dans une usine de savon après le meurtre de son fils Daniel Alexander. Pourquoi tant d'autres organismes d'État, comme la justice pénale militaire ou le bureau du procureur général, n'ont-ils jamais rien soupçonné, demande Jacqueline Castillo, présidente des Mères et sœur de Jaime. Peuvent-ils voir la cruelle ironie du fait que Yonny Soto avait servi dans l'armée pendant cinq mois seulement avant d'être tué par des collègues de la même institution, demande sa mère Zoraida Muñoz.
"Mon cœur est violet de chagrin"
Les victimes se succèdent pour leur raconter les tristes réalités que leurs actes ont laissés, des enfants orphelins aux dettes de cimetière, en passant par la méfiance envers un État censé les protéger.
Dans l'un des moments les plus émouvants, Villamir Rodríguez - un paysan et peut-être la seule personne connue à avoir échappé à un « faux positif » - raconte comment ils l'ont laissé pour mort après l'avoir abattu, posé une arme à côté de lui et annoncé la mort d'"un subversif" à la radio. Montrant son bras coupé, il leur dit : "Je ne peux pas supporter de travailler une journée entière à cause des dommages qui m’ont été causés."
Carmenza Gómez, mère de Víctor Fernando, se plaint d’avoir reçu des menaces simplement pour avoir parlé. Claudia Barrientos, sœur de Javier, leur dit que les habitants de Catatumbo ne peuvent pas les considérer comme des héros. Et Antonio Peña, frère d'Olivo, déclare que son "cœur est violet de chagrin".
Presque tous leur demande de nommer leurs supérieurs hiérarchiques impliqués. "Révélez les responsables. Ne payez pas seuls", implore Flor Hernández, mère d'Elkin Gustavo Verano. Et toutes, absolument toutes les victimes qui ont pris la parole à Ocaña, plaident pour une tâche urgente : laver leur nom de tout soupçon et, accessoirement, celui de leur région tant décriée.
Les responsables de l'armée répondent, parfois directement, parfois indirectement. Tantôt ils assument toute l'horreur des "événements machiavéliques que nous avons créés", comme dit un quatrième colonel, Gabriel Rincón, tantôt ils se rabattent sur des euphémismes tels que "les faits" ou "les actions" pour parler de meurtres prémédités et déguisés, au cœur d'un conflit armé interne dont ils avaient délibérément ignoré les règles d'engagement.
Les documents : "Un vernis de légalité"
L'aspect le plus frappant de l'audience publique est sans doute le langage choisi par les 10 accusés. Ils parlent d'un "appareil criminel organisé", d'une "structure criminelle" et d'un "regrettable pacte criminel". Ce n'est pas une coïncidence. L'accusation par laquelle la JEP a formulé ses charges contre eux, en juillet dernier, parle d'"organisations criminelles intégrées dans des unités militaires". Ils empruntent ainsi nombre de ses termes - ou du moins des termes proches : "fausses pertes au combat", "combats illégitimes" et "jeunes hommes innocents (...) livrés, assassinés et présentés comme des morts au combat et des résultats opérationnels".
Certains passent d'une situation où ils répondaient à peine aux questions de la JEP il y a trois ans à celle où ils s'approprient son acte d'accusation, racontant avec leurs propres mots les différents modes opératoires et cas d’illustration, jusqu'à la manière dont ils se répartissaient les tâches.
Le caporal Néstor Gutiérrez, le seul qui s’était adressé à la justice de son propre chef, il y a des années, pour dénoncer ses actes et qui a été menacé à plusieurs reprises pour l'avoir fait, raconte comment il a payé une femme qui vendait de la marijuana dans un bordel pour qu'elle dresse une liste de personnes. Le sergent Pérez décrit comment il recherchait des jeunes hommes à Soacha et les trompait en leur promettant des emplois inexistants et en cachant leurs documents pour qu'ils puissent disparaître sans laisser de traces. Le civil Alexander Carretero complète son témoignage en racontant comment ces hommes sont arrivés chez lui, à Ocaña, avant d'être récupérés par leurs bourreaux. Plusieurs précisent avoir placé des armes - provenant d'une cache qu'ils n'ont jamais signalée selon certains, fournies par les paramilitaires de droite selon un autre - pour maquiller les scènes de crime.
Le commandant Daladier Rivera raconte avoir établi des rapports de renseignement accusant les victimes d'être des rebelles ou des complices, bien qu'il n'ait jamais été formé au renseignement, admet-il. Le colonel Rincón explique que son rôle était de "rédiger des documents qui donnaient un vernis de légalité à ces fausses opérations", afin qu'aucun organisme d'État ne puisse soupçonner qu'elles n'étaient pas vraies. Le commandant Juan Carlos Chaparro admet qu'il ne se souciait que de l'apparence de ses documents sur les opérations militaires, "même si c'était un mensonge".
Une validation des conclusions de la JEP
Le colonel Castro, quant à lui, raconte comment il a laissé les réserves de l'armée servir à payer les faux rapports des informateurs et admet que, bien qu'il ait assisté à des réunions où des anomalies étaient soulevées, il n'a lancé aucune alarme. Le colonel Herrera détaille les pressions et les incitations qu'il a utilisées, y compris des vacances, des missions à l'étranger, des cours de pilotage, ou une note négative sur des CV.
Certains répondent à des questions spécifiques des victimes. Le caporal Gutiérrez reconnaît devant Sandra Barbosa qu'il a appelé d'autres soldats pour faire sortir son frère Javier Peñuela d'un magasin, un jour où il était descendu au village pour se faire arracher une dent par un médecin.
Certains récits sont particulièrement cruels. Gutiérrez dit avoir tiré dans le dos d'un Wilfredo Quintero confiant, tandis que ses collègues tiraient des balles en l'air pour simuler un prétendu combat. Le colonel Tamayo, ancien aide de camp de l'ex-président Uribe, insiste être responsable d'avoir manqué à ses devoirs de commandant, et explique : "J'ai accepté cette proposition et j'ai donné mon accord pour des meurtres présentés ensuite comme de faux combats."
Leurs récits, avec leurs éclairages et leurs angles morts, confortent auprès de la société colombienne - et valident - les conclusions déjà spectaculaires de la JEP sur ce qu'elle a appelé "des résultats opérationnels fictifs", "des dissimulations de plus en plus sophistiquées" et "une division du travail criminel".
Le conseil de la juge Arbour
Après quatre ans d'enquête, le tribunal spécial colombien montre enfin qu'il a peut-être une réponse à l'un des vieux dilemmes auxquels les mécanismes de justice transitionnelle et de justice pénale internationale sont souvent confrontés : comment amener les accusés à non seulement reconnaître leurs crimes, mais aussi la souffrance de leurs victimes.
"Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de prouver la culpabilité des responsables. Nous avons réussi et les avons condamnés, mais ensuite ils sont sortis et ont dit qu'ils étaient innocents et cela a re-victimisé les victimes", avait déclaré la juge canadienne Louise Arbour aux négociateurs de paix du gouvernement, il y a quelques années, alors qu'ils étaient en plein pourparlers avec les FARC. Arbour avait été procureur auprès des tribunaux internationaux mis en place par l'Onu pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie. Et elle avait aussi offert une réponse possible : "Créez des incitations à cette reconnaissance", leur avait-elle conseillé.
Ses interlocuteurs colombiens ont suivi son conseil et le résultat est un système de justice transitionnelle à deux voies. Si les personnes accusées de crimes graves reconnaissent leur responsabilité, en plus de faire la vérité et de dédommager personnellement les victimes, elles peuvent être condamnées à des peines de 5 à 8 ans dans un cadre non carcéral. Si elles ne le font pas, leur dossier est transféré pour une procédure contradictoire et, si elles sont reconnues coupables, elles risquent 15 à 20 ans de prison.
A Ocaña, c'est la première fois qu'un des grands dossiers de la JEP atteint le stade de l'audience publique. Les militaires sont ainsi devenus les premiers à assumer leur responsabilité, non seulement par écrit comme ils l'ont fait à la fin de l'année dernière, mais oralement. Ces reconnaissances, leur ont expliqué les juges, devaient comporter trois éléments. Un élément juridique, qui consiste à énoncer les charges exactes et à indiquer qu'ils les acceptent. Un élément factuel, qui consiste à raconter certains de ces meurtres ou comportements, en précisant l'heure, la manière et le lieu. Enfin, une partie réparatrice, pour laquelle il n'y a pas de scénario mais qui doit montrer une compréhension des pertes subies par les victimes, de la douleur causée par la disparition des membres de leur famille et des impacts à long terme de ces crimes.
Tout cela, bien sûr, doit être fait sur un ton empathique et respectueux. "Nous cherchons des explications, pas des justifications", prévient Catalina Díaz, l'un des trois juges chargés de l'affaire et de l'enquête dans le Catatumbo.
Quand une catharsis coexiste avec la défiance
Même si tous les inculpés dans l'affaire Catatumbo ont accepté les charges - contrairement à l'autre sous-dossier de faux positifs dans les Caraïbes, où trois des 15 fonctionnaires accusés ont rejeté les conclusions de la JEP - l'audience d'Ocaña montre que tous ne sont pas entièrement disposés à reconnaître leur rôle ou les défaillances de leur commandement. Et que souvent, dans ces scénarios de réparation, le moment de catharsis coexiste avec la défiance.
Lors de la première journée, le sergent Rafael Urbano fait par exemple une intervention alambiquée dans laquelle, bien qu'acceptant sa responsabilité, il tente d'embrouiller l'un des premiers soldats à avoir dénoncé les faux positifs et insinue même avoir aidé à sortir de l'hôpital Villamir Rodríguez, le rescapé. Après une réprimande pour ne pas avoir fourni de détails concrets, les trois magistrats lui posent des questions incisives sur quatre meurtres dans lesquels il est impliqué et qu'il a dû reconnaître. "Je suis un meurtrier, ce n'est pas ma fierté de le dire", est-il finalement contraint de répondre.
Plus déconcertant encore, le général Paulino Coronado, le fonctionnaire le plus haut placé jusqu'à présent à avoir accepté les accusations de la JEP et le dernier à intervenir, se lance dans un discours de 40 minutes - le double du temps qui lui était imparti - dans lequel il insiste davantage sur son ignorance des meurtres et sur les mesures qu'il a mises en place après les avoir appris que sur les crimes commis par ses hommes ou la douleur des familles présentes. Les juges l'interrompent finalement et un bref échange conflictuel et contradictoire s'ensuit. Ils l’interrogent sur une réunion tenue en décembre 2007 dans un théâtre d'Ocaña, où plusieurs organisations de défense des droits de l'homme l’avaient convié pour lui faire part d'une série de violations des droits de l'homme, dont plusieurs exécutions extrajudiciaires. Cette réunion est l'une des preuves utilisées par la JEP pour soutenir que Coronado était au courant et n'a pas agi, en plus d’un point de rupture où, selon le tribunal, les soldats stationnés dans cette région sont passés du meurtre de paysans locaux à l'assassinat de jeunes gens venus d'ailleurs, dont certains souffraient de maladies mentales ou consommaient des drogues de manière problématique.
Après une suspension d'audience, les magistrats l'avertissent qu'ils doivent évaluer si sa reconnaissance est satisfaisante et qu'ils pourraient lui demander de l’approfondir. Le lendemain, dans une interview accordée à El Espectador, Coronado - désormais dépourvu de la moustache qui le caractérisait pendant ses années militaires - nuance ses propos, soulignant que "la mémoire est fragile" et qu'il "accepte tout ce que disent les victimes".
Ces deux interventions ont toutefois été plus l'exception que la règle. Après avoir rencontré les victimes à deux reprises en privé, tous ses collègues ont souligné leur souffrance, les traumatismes laissés par ces meurtres et le fardeau disproportionné pesant sur les femmes, devenues soutiens de famille.
"Je vois en vous", leur dit le colonel Tamayo, "le chemin tortueux et plein de souffrances que vous avez parcouru en plaidant sans cesse pour la justice, et qu'à chaque entreprise, vous avez été re-victimisées non seulement par nous, vos bourreaux, mais aussi par la justice ordinaire qui n’a pas cru à vos revendications désespérées sur la disparition de vos proches."
La barre est haute pour les sept anciens dirigeants des FARC qui, le 31 mai et pendant trois jours, devront faire face - et s'excuser - aux victimes des 21 396 enlèvements perpétrés par ce groupe rebelle en deux décennies, et que la JEP a également qualifiés de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.
"J'ai rêvé de ce moment"
"Je n'ai jamais pensé que je les verrais dire 'oui, j'ai donné l'ordre, c'est untel qui l'a exécuté'", déclare María Amparo Suárez, dont le fils Luis Alberto Sandoval - tué à l'âge de 21 ans - travaillait dans une plantation de cacao afin de poursuivre des études de criminologie. "Cela a été très satisfaisant." Plusieurs victimes estiment que les noms de leurs proches ont été réhabilités. "Ce qui me rend le plus heureux, c'est que le nom de mon frère Jaime Estiven Valencia a été blanchi", me confie Anderson Rodríguez, un athlète pratiquant la callisthénie, alors qu'il étire ses muscles pour préparer son discours. "Ce fut une surprise pour moi qu'ils aient nommé mon père", me dit Leidy Jaimes.
"J'ai rêvé de ce moment. Qu'ils se lèvent et disent à toute la Colombie et au monde entier que nos garçons n'étaient pas des rebelles ni des subversifs", me déclare Blanca Nubia Monroy, en montrant une tapisserie accrochée au mur du théâtre d'Ocaña où, avec des bouts de tissu, elle a tissé l'histoire de son fils Julián Oviedo, enlevé à Soacha et tué en mars 2008. Elle me la montre de son bras gauche, sur lequel on peut voir le petit tatouage d'une balance. Ce n'est pas la balance de la justice, simplement une copie du tatouage de son fils. Mais cela pourrait tout aussi bien l'être.
UN DOSSIER QUI PREND DE L'AMPLEUR
Après avoir reçu les observations des victimes, les juges de la JEP chargés du dossier des faux positifs doivent synthétiser leurs conclusions dans un acte d'accusation qui sera envoyé à la plus haute instance de la JEP pour qu’elle décide des sanctions. Dans quelques mois, presque cinq ans après le début de son fonctionnement, le premier jugement du système de justice transitionnelle sera prononcé.
Dans le même temps, l'enquête continue d'avancer : avec des mises en accusation dans les quatre autres sous-dossiers régionaux restants ainsi que dans le cadre de l'approche dite "ascendante", pour traiter de pratiques et de normes et cultures institutionnelles ayant permis à ces crimes de se développer au niveau national. Cela signifie qu'elle passera des accusations portées contre les officiers de commandement au niveau régional à celles portées contre les hauts responsables, y compris potentiellement ceux qui étaient la tête des forces armées et du ministère de la Défense au cours de ces années-là.
Le nom qui est revenu le plus souvent lors de l'audience d'Ocaña est celui du général Mario Montoya, commandant de l'armée de terre à l'époque et célèbre pour avoir dit à ses soldats, selon des témoignages devant la JEP, qu'il n'avait que faire des captures et qu'il demandait des "litres de sang". Plusieurs l'ont désigné, par son nom ou sa fonction, pour avoir exercé une pression permanente à la radio, mis ses brigades en concurrence et noté les commandants selon un seul critère : les pertes infligées au combat "à tout prix". Des témoignages similaires ont été entendus les généraux Carlos Ovidio Saavedra et José Joaquín Cortés.