Véhiculés jusqu'à un point de contrôle, femmes, enfants, vieillards et quelques rares hommes pressent le pas pour franchir le barrage de soldats ukrainiens et s'engouffrer dans des minibus de la Croix-Rouge, avant de laisser aller leurs sentiments à Petchenigui.
Ces évacués viennent de passer de la zone d'occupation russe, où ils vivaient dans des conditions très difficiles depuis le début de l'invasion le 24 février, pour enfin rejoindre la zone sous contrôle ukrainien, près de Kharkiv (nord-est).
Les traits sont tirés, les yeux cernés. La fatigue est visible sur la plupart des visages et beaucoup pleurent en s'asseyant dans le minibus ou en découvrant des proches dans une sorte de salle des fêtes. Ils ont l'impression d'avoir échappé à un calvaire.
"Je respire mieux" affirme Anna, institutrice évacuée avec ses deux enfants de 13 et 11 ans, mais qui a dû laisser son mari. "C'était la seule solution avec les enfants", dit-elle en s'essuyant les yeux.
Les Russes ont ouvert un couloir humanitaire pour laisser partir ceux qui le voulaient mais les hommes de moins de 60 ans devaient rester. Selon l'armée ukrainienne, 1.350 personnes sont passées lundi.
D'incessantes navettes de minibus et véhicules utilitaires ramènent les évacués et leurs bagages d'un point de contrôle situé sur un barrage et un lac servant de délimitation entre forces ukrainiennes et russes, séparées par un ou deux kilomètres.
- Ni téléphone, ni Internet -
Les histoires se ressemblent et les femmes évacuées ne veulent pas donner leurs noms, par peur pour leurs maris resté du côté russe.
"Soulagée" d'être là mais inquiète, Oksana a quitté son époux mais ramené ses deux chiens, "qui font partie de la famille".
Elle était dans sa datcha quand la guerre a éclaté. "Ca explosait de partout sur la route. On ne pouvait pas s'en aller. Puis les chars russes avec le +Z+ sont passés", raconte-elle. Ils ont été pris au piège sans pouvoir revenir à Kharkiv, la capitale régionale.
Les troupes russes ne sont pas parvenues à prendre Kharkiv, se retirant finalement de la zone pour se concentrer sur d'autres fronts. Elles ont toutefois conservé le contrôle de larges territoires à l'Est de Kharkiv et continuent de pilonner la ville et ses alentours.
Autant de territoires "plongés dans le monde russe", ironise Tetyana, étudiante de 19 ans, en reprenant une célèbre expression du président Vladimir Poutine. Elle se dit "heureuse" de retrouver son "Ukraine natale" après trois mois.
Dans ce "monde russe", "on ne sortait pas dans la rue pour éviter de rencontrer" les soldats, raconte Viktoria, collègue d'Anna et mère d'enfants de 12 et 9 ans, qui a aussi laissé son mari. Les deux institutrices précisent qu'elles ont continué à enseigner à distance.
Selon plusieurs femmes, les Russes confisquaient les téléphones et les habitants ne s'en servaient que dans leurs maisons. Internet était coupé et l'électricité également, ces neuf derniers jours.
Sans pouvoir retirer d'argent, les habitants se trouvent aussi sans moyens de paiement. Mais toutes soulignent le manque de nourriture et le besoin d'aide humanitaire.
- Bloqués de l'autre côté -
Une autre Anna, 30 ans, bébé blond de 2 ans dans les bras, a dû mal à se consoler. "Un moment c'était calme, mais il y a commencé à avoir des explosions. Il fallait partir avec mon fils. On a peur pour lui mais mon mari est resté là bas".
"On a réalisé que la guerre avait commencé avec les explosions. Les véhicules russes passaient dans les rues", poursuit-elle. "On a passé deux jours dans la cave de l'école, on espérait. On ne savait pas sur quel territoire on était, mais après les Russes sont arrivés et ont installé leur point de contrôle".
Anna ira désormais chez des proches et espère revoir bientôt son mari. "J'espère que tout ira bien. Mais c'était vraiment dur de partir".
Le procureur local, Edouard Mirgorodsky évoque des populations "traumatisées et apeurées". Ses services s'entretiennent avec les déplacés pour voir s'il y a eu des crimes de guerre.
"On parle beaucoup d'enlèvements, de vols et aussi de collaboration avec l'ennemi", dit-il. Il précise surtout que de nombreux candidats au départ n'ont pu être évacués et sont restés bloqués de l'autre côté.
"Beaucoup, beaucoup de gens sont restés...", soupire Igor Klymenko, 46 ans, membre de la Croix-Rouge, soulignant qu'il faut aussi apporter de l'aide humanitaire dans la zone: "Il faut de l'aide!"