Deux Britanniques et un Marocain capturés alors qu'ils combattaient dans les forces armées ukrainiennes ont été condamnés à mort après ce qui a été dénoncé comme un "procès spectacle". Aiden Aslin, Shaun Pinner et Brahim Saadoun se sont rendus aux forces russes pendant le siège de l'aciérie Azovstal, à Marioupol, ont été reconnus coupables d'"être des mercenaires". Ils ont un mois pour faire appel et, si l’appel est accueilli favorablement, ils pourraient être condamnés à la prison à vie ou à 25 ans au lieu de la peine de mort.
Les responsables pro-russes de la république séparatiste de Donetsk, où s'est déroulé le procès, ont affirmé que les actions des hommes avaient "entraîné la mort et la blessure de civils, ainsi que des dommages aux infrastructures civiles et sociales".
Mais ce que les observateurs ont qualifié de "procès spectacle" sur la base d'"accusations forgées de toutes pièces" soulève d'importantes questions quant à leur statut au regard du droit international (en particulier, s'ils ont droit au statut de prisonnier de guerre) et à la compatibilité de ces procès avec les droits qui accompagnent ce statut.
sont-ils des prisonniers de guerre ?
Le statut de "prisonnier de guerre" est juridiquement protégé, avec une définition spécifique et des droits qui lui sont attachés en vertu du droit international. La troisième Convention de Genève de 1949 et le premier Protocole additionnel de 1977 définissent les personnes qui ont droit au statut de prisonnier de guerre et la manière dont elles doivent être traitées par l'État qui les détient pendant un conflit armé.
D'après les médias, Aslin, Pinner et Saadoun semblent avoir été intégrés dans les forces armées ukrainiennes, servant dans les Marines (et non pas simplement combattant à leurs côtés), et étant apparemment en Ukraine depuis plusieurs années.
Cela suggère qu'ils répondent parfaitement à la définition des personnes ayant droit au statut de prisonnier de guerre. Cela signifie également qu'ils sont des "combattants" légitimes - un statut connexe qui leur donne le droit de prendre part aux hostilités contre l'ennemi.
Les responsables russes ont qualifié de "mercenaires" tous les combattants étrangers qui se battent aux côtés de l'Ukraine. Il s'agit d'un terme juridique désignant un combattant étranger qui n'est pas membre des forces armées d'un État mais qui combat à ses côtés en échange d'une importante compensation financière.
Si les mercenaires n'ont pas droit au statut de prisonnier de guerre, le fait qu'ils soient officiellement membres des forces armées ukrainiennes signifie qu'ils ne sont pas des mercenaires. En effet, Aslin aurait la nationalité ukrainienne.
En fait, les personnes qui se sont également rendues en Ukraine après l'invasion de février et qui ont rejoint sa Légion internationale ne comptent pas comme des mercenaires et devraient avoir droit au statut de prisonnier de guerre, étant donné qu'elles sont, elles aussi, incorporées dans les forces armées ukrainiennes.
Il ne fait donc guère de doute qu'ils ont droit au statut de combattant et de prisonnier de guerre. La question suivante est de savoir si ce procès a violé les droits que leur confère ce statut.
Quels sont leurs droits ?
Une fois que vous avez le statut de combattant et de prisonnier de guerre, le droit international vous accorde une longue liste de droits lorsque vous êtes détenu par un État ennemi. L'un de ces droits, qui découle du statut de combattant légitime et du droit de participer aux hostilités, est celui de ne pas être poursuivi pour cette participation, tant qu'aucun crime de guerre n'a été commis.
Les combattants sont protégés des poursuites pour ce qui serait un crime en droit national, comme l'homicide ou la destruction de biens. L'idée qui sous-tend cette règle est que les soldats ennemis ne doivent pas être punis pour avoir fait ce que les soldats de l'autre camp font également (combattre dans une guerre au nom de leur pays).
Les charges contre les trois hommes sont rapportées comme suit : "commission de crime en tant que membre d'un groupe criminel", "prise de pouvoir ou maintien au pouvoir par la force", "être un mercenaire" et "promotion de la formation aux activités terroristes". Tous ces chefs d'accusation semblent relever du simple fait d’avoir rejoint les forces armées ukrainiennes et de combattre avec elles. Dans cette mesure, les poursuites engagées à leur encontre violent les droits que leur confère leur statut de combattants en vertu du droit international.
Le droit des combattants à ne pas être poursuivis pour leur participation à la guerre ne s'étend pas aux crimes de guerre, que les États sont tenus de poursuivre. Il a été rapporté que les trois hommes étaient également accusés d'avoir causé la mort de civils. Mais même si les charges retenues contre eux allaient au-delà du fait d’avoir rejoint les forces ukrainiennes, et alléguaient d’actes spécifiques - tels que des crimes de guerre - le droit international leur accorde des droits très détaillés à un procès équitable en tant que prisonniers de guerre. Ils ont notamment le droit d'être jugés par un tribunal indépendant et impartial (une norme à laquelle les tribunaux établis dans la ville pro-russe de Donetsk ne répondent pas).
Il est important de noter qu'ils ne peuvent être poursuivis que par les mêmes tribunaux et procédures que ceux qui s'appliquent aux forces armées russes. Étant donné que la Russie semble avoir remis les deux hommes aux autorités chargées des poursuites dans la république séparatiste autoproclamée de Donetsk, le procès viole clairement cette règle.
Sur la base de ce qui a été rapporté, le procès semble clairement avoir violé leurs droits en tant que combattants et prisonniers de guerre.
Quelles sont les conséquences ?
La principale difficulté réside dans l'application de ces obligations à l'encontre de la Russie. Divers mécanismes ont déjà été mis en place pour tenter de traduire la Russie et ses agents devant différents tribunaux, mais ils sont tous confrontés à leurs propres limites. Le fait de priver délibérément un prisonnier de guerre de son droit à un procès équitable ou de le transférer illégalement constitue un crime de guerre, et la Cour pénale internationale enquête déjà sur les crimes de guerre présumés en Ukraine (mais il faut pour cela que les auteurs soient placés sous la garde de la CPI).
Les prisonniers de guerre peuvent également porter plainte contre le gouvernement russe devant la Cour européenne des droits de l'homme (comme de nombreux individus l'ont déjà fait depuis février). Mais il sera difficile de s'assurer que la Russie se conforme à d’éventuels jugements.
Cet article, légèrement modifié et traduit en français par Justice Info, est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
DR LAWRENCE HILL-CAWTHORNE
Le Dr Lawrence Hill-Cawthorne est professeur de droit à l'université de Bristol. Sa monographie, Detention in Non-International Armed Conflict, publiée en 2016 par Oxford University Press, a reçu le prix Francis Lieber 2016 de l'American Society of International Law pour le meilleur livre dans le domaine du droit international et des conflits armés, ainsi que le 11e prix Paul Reuter (administré par le Comité international de la Croix-Rouge). Il intervient fréquemment dans des dossiers soulevant des questions de droit public et de droit international public devant les tribunaux britanniques et les tribunaux internationaux.