« La façon avec laquelle les autorités judiciaires françaises traitent une telle affaire d'Etat, d'une telle importance, est inadmissible. Nous avons perdu confiance », a déclaré Me Bernard Mangain qui, avec Me Lev Forster, représente Rose Kibuye, chef du protocole de l'Etat rwandais, le général à la retraite et député du Front patriotique rwandais (FPR) Samuel Kanyemera, alias « kaka », et Jacob Tumwine, ancien lieutenant-colonel devenu homme d'affaires.
« Il y a une façon politique, extra-judiciaire, de faire planer le soupçon sur les gens », a ajouté l'avocat belge. Les deux conseils ont dénoncé le « silence assourdissant » qu'opposeraient le procureur et les deux juges d'instruction qui ont succédé à M. Bruguiere à leurs diverses demandes. « Nos demandes pour que les juges aillent au Rwanda - contrairement à M. Bruguiere - ou à tout le moins communiquent avec les autorités rwandaises ; ou encore pour que certains témoins soient entendus contradictoirement : en dix-sept mois, nous n'avons eu aucune réponse », a souligné Me Maingain.
Divulguée le 27 novembre 2006, l'ordonnance de soit-communiqué du juge d'instruction Jean-Louis Bruguiere concluait à la responsabilité du FPR et du chef de l'Etat rwandais, Paul Kagame, dans l'attentat contre l'avion du président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. Cet attentat marqua le début du génocide qui fit plus de 800 000 morts selon l'Onu, essentiellement parmi la minorité tutsi.
« Nous avons décidé de ne plus faire de demande d'actes et d'attendre une éventuelle transmission devant une cour d'assises pour représenter nos clients et faire en sorte qu'une instruction complète soit effectuée à ce moment-là », a déclaré Me Bernard Maingain. Selon lui, la procédure devrait aboutir d'ici la fin de l'année.
Cependant, bien qu'ils aient regretté ne pas avoir accès au dossier, les deux hommes ont rappelé qu'il s'agissait d'une disposition légale en droit français : lorsque des mandats d'arrêt visent des personnes considérées « en fuite », leurs avocats ne peuvent intervenir officiellement (et donc se faire communiquer des pièces) tant qu'elles n'ont pas été arrêtées ou ne se sont pas rendues.
« C'est pour cette raison que nous demandons la levée des mandats d'arrêt, pour que nos clients puissent connaître les charges qui pèsent sur eux, même si rien n'empêche les magistrats instructeurs ou le procureur de faire procéder déjà à des investigations qui nous paraissent utiles à la clarté du débat », a expliqué Me Forster.
Selon lui, dans d'autres conditions, leurs clients seraient prêts à être entendus par la justice, d'autant qu'ils ne sont pas « disparus, ou "en fuite" : ils occupent des fonctions officielles, visibles ». « Mais en l'état, s'ils se constituaient prisonnier, quelles garanties auraient-ils que leur dossier sera traité équitablement alors que ce n'est visiblement pas le cas depuis le début ? », s'est-il interrogé.
Sur le fond, MMe Mangain et Forster critiquent ainsi une instruction à charge, les témoignages connus étant ceux de personnes « ayant fui le Rwanda et ayant intérêt à en donner une image négative ». Ils ont aussi rappelé que certains témoins clés étaient revenus sur leurs déclarations après la publication de l'ordonnance. Par ailleurs, la divulgation de celle-ci serait une « violation flagrante du secret de l'instruction ».
De même, ils s'interrogent sur les origines du dossier, une plainte déposée le 31 août 1997 par un membre de la famille du pilote français du Falcon 50 présidentiel. « Pourquoi plus de trois ans après les faits ? L'ordonnance fait état d'obstructions aux enquêtes avant cette plainte. Mais c'est un prétexte : il n'a jamais été établi que la France ait jamais rien demandé sur ce sujet au Rwanda avant cette date. Et, si cela était, le parquet n'aurait-il pas lui-même lancé de procédure, il aurait fallu attendre des parties civiles ? », a argumenté Me Forster, évoquant de possibles manipulations.
Les deux avocats ont également évoqué le rôle dans cette affaire du Français Paul Barril, ancien officier de gendarmerie reconverti dans la sécurité, présent au Rwanda au moment du génocide.
Ils ont tenu à rappeler que la dernière Conférence des Etats de l'Union africaine qui s'est tenue les 30 juin et 1er juillet derniers avait critiqué « l'utilisation abusive de la compétence universelle par des juges de certains Etats non-africains contre des dirigeants africains, en particulier du Rwanda », « une violation flagrante de la souveraineté » qui a « un effet déstabilisateur ». Les Etats, à l'unanimité, ont sollicité un « moratoire » sur ces mandats d'arrêt et demandé aux Etats membres de l'UA de ne pas les appliquer.
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