José Antequera avait 5 ans lorsque son père est tombé sous les balles d’un escadron de la mortcolombien. Ce jeune juriste, fondateur de l’association HIJOS,qui rassemble les enfants de militants de gauches assassinés depuis la fin des années 1980, incarne une génération qui cherche à faire la lumière sur l’histoire récente du pays. Il a participé, en tant que victime, aux pourparlers de paix en cours avec la guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), et a travaillé plusieurs années à la création du Musée de la mémoire et de la réconciliation de Bogota. L’annonce début juin de la création en Colombie d’une Commision de la vérité, qui se formera à l’issue des négociations, va pour lui dans le bon sens.
Pourquoi jugez-vous que la création d’une Commission de la vérité est un pas important pour la Colombie ?
La recherche de la vérité est capitale pour sortir du conflit. C’est ce qui nous permettra de fermer ce chapitre de notre histoire. Cette Commission est d’autant plus importante qu’elle est le fruit d’une négociation entre les différentes parties. Cela signifie qu’elle a été conçue non seulement comme un instrument pour éclaircir les crimes commis par la guérilla, mais aussi pour faire la lumière sur ceux qui ont été commis par les paramilitaires et les agents de l’Etat. Seule la reconnaissance des responsabilités de chacun, en particulier de l’Etat, permettra la non-répétition.
La tâche sera-t-elle facile ?
Non, les obstacles seront nombreux. Pour l’instant, et c’est notre principale préoccupation, personne n’évoque la possibilité de déclassifier les archives des services secrets. Or, des éléments d’enquête ont déjà disparu ou risquent de disparaître. Certains dossiers du Département administratif de Sécurité (DAS, anciens services secrets de la présidence) sont introuvables. Un cartel de fonctionnaires corrompus a vendu à des agents impliqués dans des assassinats les archives les concernant.
Un autre facteur crucial de réussite sera l’acceptation des travaux de cette commission par l’opinion publique. Les médias colombiens veulent faire du processus de paix en cours un procès contre la guérilla et oublier les autres responsables. Ils tentent de détourner l’intérêt de la société civile de ces négociations. Or pour que la vérité soit faite, il faut une pression sociale très forte. Et, en Colombie, beaucoup restent dans la négation.
Que nient les Colombiens?
On refuse notamment de reconnaître que l’État a une responsabilité dans le déclenchement et la perpétuation du conflit civil. Les autorités continuent à soutenir que les crimes d’Etat sont le fait d’agents isolés ; elles refusent d’admettre que ces agents ont servi les intérêts du pouvoir, et qu’en tuant, chassant des civils de leurs terres, par exemple, ils savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. On ne veut pas reconnaître non plus que les morts, notamment de certains dirigeants politiques, ne sont pas les “dommages collatéraux” d’une guerre guérilla/ Etat, mais bien le produit d’une action institutionnelle délibérée.
Si nous n’acceptons pas cela, et si nous ne faisons pas les réformes qui permettraient d’éviter que cela se répète, nous auront beaucoup de difficulté à construire la paix après la signature de l’accord. Nous allons nous retrouver face à un Etat et des forces de l’ordre inchangées, qui sont celles qui ont aggravé le conflit en utilisant des méthodes violentes contre toute forme de revendication sociale. En face, nous retrouverons des mouvements sociaux qui voudront se faire entendre. Que va-t-il se passer ? Pour rompre cette logique, il faut faire la lumière sur notre histoire récente.
C’est ce que vous souhaitez également pour votre père ?
Oui. Il y a beaucoup de choses qui restent dans l’ombre. Même si, dans notre mouvement, nous savons qu’il a été victime d’une alliance paramilitaires-armée-services secrets, nous ne connaissons, 26 ans après sa mort, que le nom de l’exécutant. Nous ne savons toujours pas quels ont été les auteurs intellectuels.
Vous avez participé comme victime aux pourparlers de paix avec la guérilla. Qu’avez-vous demandé à la Havane ?
J’ai insisté sur un point essentiel : les victimes doivent être au coeur de ce processus de paix, mais pas pour jeter l’opprobre sur la guérilla. Elles sont la raison, la justification de ce processus. Nous devons mettre fin au conflit pour mettre fin à leur souffrance. Nous faisons la paix parce que les effets de la guerre, y compris aujourd’hui, sont humainement inacceptables.