Mohammed Jabbateh, originaire du Libéria, est jugé aux Etats-Unis depuis le 2 octobre pour parjure et fraude dans ses documents d’immigration. Aussi connu sous le nom de “Jungle Jabbah”, il aurait obtenu l’asile aux Etats-Unis en dissimulant son rôle de commandant au sein de l’ULIMO, un ancien mouvement rebelle au Libéria. Même s’il n’est pas poursuivi aux Etats-Unis pour les crimes commis dans son pays d’origine, les atrocités qui lui sont reprochées au Libéria seront au cœur de cette procédure américaine. JusticeInfo.Net s’est entretenu à ce sujet avec le juriste suisse Alain Werner, co-fondateur de l’ONG Civitas Maxima, qui se bat depuis des années aux côtés des victimes de la guerre au Libéria, en quête de justice.
JusticeInfo: Pourquoi Jabbateh a –t-il été inculpé pour parjure et fraude et non pour crimes de guerre?
Alain Werner: Si je comprends bien, la loi américaine n’autorise pas de poursuivre une personne de nationalité étrangère pour crimes de guerre commis en dehors des Etats-Unis au début des années 90. C’est pourquoi ils l’ont inculpé pour parjure. Mais pour prouver qu’il a menti, ils devront prouver qu’il a commis des crimes de guerre. C’est par ailleurs la toute première fois que des victimes de la guerre civile au Libéria vont faire face à Jabbateh devant un tribunal. Ainsi donc, du point de vue juridique, il ne s’agit pas d’un procès pour crime de guerre, mais, dans les faits, c’en est un. Il s’agit par ailleurs d’une affaire pénale, ce qui veut dire que si Jabbateh est reconnu coupable, il ne sera pas déporté mais purgera sa peine aux Etats-Unis.
Quelle est l’importance du procès ?
Le procès est très important à cause l’ahurissante impunité au Libéria. Le pays a connu deux guerres civiles brutales, de 1989 à 1996 et de 1999 à 2003, qui ont laissé des centaines de milliers de morts et dévasté le pays. Il y a eu une Commission Vérité et Réconciliation qui a demandé en 2009 des poursuites criminelles mais rien n’a été fait. Et bien que la présidente (Ellen Johnson Sirleaf) soit lauréate du Prix Nobel de la Paix, elle n’a rien fait pour mettre en oeuvre ces recommandations. Ainsi, c’est la toute première fois que des victimes venant du Libéria vont avoir l’occasion de raconter au jury ce qui s’est passé durant la première guerre civile. Et cela se passe dans le contexte des élections au Libéria la semaine prochaine. Johnson Sirleaf ayant fait deux mandats, le Libéria va élire un nouveau président le 10 octobre.
Combien de témoins vont déposer et qu’en est-il de leur sécurité ?
Nous nous attendons à ce qu’il y ait approximativement 16 témoins de l’accusation, et ils bénéficieront d’un certain niveau de protection. Dans le cadre du travail de mon organisation et d’autres efforts en vue de la justice au Libéria, il y a eu des menaces, en particulier contre notre organisation partenaire à Monrovia, le Global Justice and Research Project.
Pouvez-vous nous parler davantage de ces autres efforts en faveur de la justice pour les victimes de crimes de guerre au Libéria ?
Indépendamment de ce qui se passe aux Etats-Unis, il y aussi des efforts en Europe. Un ancien chef rebelle libérien (Alieu Kosiah) a été arrêté en Suisse et il est possible qu’un procès pour crimes de guerre ait lieu en Suisse l’année prochaine. Nous attendons aussi le procès pour torture d’Agnes Reeves Taylor au Royaume-Uni et celui de Martina Johnson en Belgique. Nous ne pensons pas que le climat politique soit propice aujourd’hui à la tenue de procès pour crimes de guerre au Libéria. Mais le lieu le mieux indiqué pour ces procès, lorsque le climat s’y prête, reste bien-sûr le pays (Libéria) lui-même.
Pensez-vous que cela puisse changer après les élections du 10 octobre ?
Il y a des choses qui se passent. Un des candidats, Benoni Urey, qui était proche de l’ex-président Charles Taylor, a publié un communiqué appelant à la mise en place d’un tribunal chargé de juger les crimes de guerre s’il était élu. Je pense que c’est parce qu’il sait qu’il s’agit de quelque chose que les gens veulent entendre. Il semble qu’il n’est pas un candidat favori, mais la question fait l’objet d’un débat public.
L’ex-chef rebelle Prince Johnson, considéré comme le responsable de l’assassinat de l’ex-président Samuel Doe, est aussi dans la course, n’est-ce pas ?
Il fait partie des pires criminels de guerre présumés et certains de ces crimes ont été documentés par vidéo, même avant YouTube. Le fait que Johnson est Sénateur au Libéria et qu’il brigue la présidentielle pour la troisième fois prouve que l’impunité atteint des proportions ahurissantes au Libéria.