Les habitants de Kabarondo rêvent tous de connaitre la vérité au terme de ce procès d’appel des deux bourgmestes commencé à Paris il y a un mois, car bien qu’il y ait eu condamnation en 2016 des accusés à la perpétuité au premier degré, ces derniers n’ont rien avoué. Accusés de génocide et crimes contre l’humanité commis en 1994 à Kabarondo, petite commune de l’est du Rwanda qu’ils ont respectivement dirigée de 1977 a 1994, Tito Barahira et Ngenzi Octavien, continuent de nier à ce jour les faits qui leur sont reprochés. Pourtant, du verdict attendu le 6 juillet prochain, ils sont nombreux à Kabarondo à attendre de la justice « vérité et réparation ».
Une vieille rescapée esseulée a dû découcher de sa maison aux murs fissurés et sur le point de s’écrouler et l’ensevelir d’un moment à l’autre, pour emménager son matelas dans un coin des toilettes. Ici, à Kabarondo, à l’est du Rwanda, sur la route de Rubira, au village natal de Ngenzi, la solidarité villageoise, peut-être encore trébuchante, ne sait que faire pour elle. Sa famille tant, nucléaire qu’élargie, a été décimée lors du massacre de tutsis, ses biens pillés. Un dénuement total ! D’Octavien Ngenzi et Tito Barahira, elle garde une seule chose : « Sans eux le génocide n’aurait pas eu lieu à Kabarondo et je ne serais pas aussi la misérable ! ». Sait-elle qu’ils sont en procès ? Les yeux hagards, elle a plongé dans un silence morbide. « A quoi nous servent tous ces procès si, dans la jouissance totale de leurs biens, nos bourreaux se gaussent toujours de nous? », lui vient en aide la voisine venue lui tenir compagnie, tant « la nouvelle du procès où ils nient tout nous a ébranlées ». Elles ne sont pas les seules
Ici où s’est joué l’acte premier de la tragédie, rescapés du génocide, leurs bourreaux repentis, familles des accusés, tout le monde a besoin de savoir. Que la vérité soit enfin établie sur les responsabilités ! De l’appel aux massacres à l’exécution. « S’ils n’avouent pas qu’ils nous ont incités à tuer nos voisins et amis, cela fait de nous en même temps maitres et élèves » et masque la vérité, s’inquiète Nzigiyimana dit Kajisho que certains surnomment « le boucher » pour sa ferveur pendant le génocide.
Sans réparation, pas de justice
A 46 ans, elle a déjà l’air d’une vieille femme ! « Les temps durs » l’ont rendue plus vieille que son âge et plus discrète, aussi requiert-elle l’anonymat, mais garde un esprit clair et semble choisir ses mots. Cette simple paysanne rencontrée à la place du marché local, et qui avait juste 22 ans, un mari et une fillette de 6 mois en 1994, a une vision plus large de la réparation. Elle a « tout perdu, tout ! ». Plus rien ne reste de sa famille nucléaire, ni de celle proche ou éloignée. Pourtant, « ceux qui ont tué nos enfants, femmes, maris, familles, ceux qui ont violé nos mères et sœurs, femmes, nos enfants encore pubères ont demandé pardon et avec eux nous essayons de recoudre la réconciliation », dit-elle, convaincue que la vérité et le repentir de leurs bourreaux sont un aspect fondamental de la réparation. Et pour les biens pillés ou détruits, elle est satisfaite ; même les plus démunis parmi les préjudiciables se sont du moins excusés. Pourtant, comme la plupart de rescapés rencontrés sur place, elle a appris que « leurs bourgmestres », que les « donneurs d’ordre », nient tout et n’ont aucun signe de regret. « Leur déni de génocide est une insulte à nos morts. Leur arrogance, un couteau qui ravive nos plaies », estime-t-elle, et de conclure qu’avec une telle attitude « ils referaient la même chose s’ils avaient encore des adeptes ». Un avis qu’elle partage avec Naphtal Ahishakiye, secrétaire exécutif d’Ibuka, collectif des associations des rescapés du génocide qui estime que cette attitude des accusés n’inspire pas de « garantie de non-répétition », nécessaire pour une vraie réparation. Pour la section locale d’Ibuka, les victimes doivent être dédommagés pour les pillés ou détruits, surtout par ces deux responsables « sans lesquels, le génocide n’aurait pas eu lieu à Kabarondo », estime son président Ryaka Jovit. Pour lui, en même temps victime et partie civile à ce procès, il est anormal que « les familles de Ngenzi et Barahira continuent de percevoir les rentes de leurs biens immobiliers », au moment où les victimes, dont certains infectés de VIH/Sida pendant le génocide, meurent à petit feu de misère et autres séquelles du génocide. « Nous attendons de la justice française qu’elle répare ce préjudice », indique-t-il.
A Kabarondo, comme ailleurs au Rwanda, de simples paysans transformés en tueurs se sont retrouvés par la suite dans l’insolvabilité totale pour restituer les biens pillés et/ ou détruits, ou appauvris après avoir payés. En référence au procès de ces ex-dirigeants « jugés au pays de la liberté et la justice », « la réparation devrait être taillée à l’once de nos responsabilités respectives», estime un ancien condamné pour pillage qui a dû vendre la moitié de son champ pour pouvoir payer.
La vérité, un devoir de mémoire et de conscience !
Dans ce procès mené à plus de six mille lieues de l’endroit où les crimes jugés ont été commis, la vérité semble fluctuante a en juger les contradictions, et de petite valeur, du fait que les accuses nient tout en bloc. Dès lors, les personnes réfugiées chez Ngenzi, à part lui-même, personne ne sait comment ni où elles ont été exécutées et enterrées. Qui a tué François Ntirushwamaboko ? Quel est le non-dit de l’histoire du massacre à l’église, au centre de santé ou au Centre de formation permanente dit IGA ? Quel est le rôle de l’un et l’autre des accusés ? Pour que les familles vivent et terminent le deuil, et se sentent soulagées, estime Dusingizumukiza Alfred, secrétaire exécutif du secteur Kabarondo qui circonscrit l’ancienne commune du même nom. Pour lui, « la vérité allège non seulement la conscience de ceux qui avouent leurs crimes, mais aussi de leurs familles, des fois prises en otage par leur mensonge », tout comme, rejoint-il ici le secrétaire exécutif d’Ibuka « elle permet de connaitre et dire la vraie histoire » de ce qui s’est passe pendant le génocide. Mais aussi de servir de réponse au dilemme fataliste des enfants tel cette nièce de Barahira qui estime ne pouvoir rien changer « à ce qui s’est passé ou à ce qui se passe ; et quelle que soit l’issue du procès, on attend la vérité !».