Deux anciens bourgmestres rwandais ont vu vendredi leur condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité confirmée en appel par la justice française pour leur participation au génocide des Tutsi dans leur village de Kabarondo, dans l'est du Rwanda, en avril 1994.
A l'issue de deux mois d'un procès filmé pour l'histoire devant la cour d'assises de Paris et après huit heures de délibération, Octavien Ngenzi, 60 ans, et Tito Barahira, 67 ans, ont été reconnus coupables de "crimes contre l'humanité" et "génocide", pour "une pratique massive et systématique d'exécutions sommaires" en application d'un "plan concerté tendant à la destruction" du groupe ethnique tutsi.
Comme en première instance, les deux accuses ont été jugés en vertu de la compétence universelle et reconnus coupable de génocide et crimes contre l'humanité, pour des faits qui se sont déroulés il y a 24 ans, à dix mille lieues de Paris.
« Messieurs Octavien Ngenzi et Tito Barahira, restez debout », apostrophe Xavière Simeoni, cette magistrate qui a su faire respecter, de main de maitre, le processus de la cour d’assises. Il est près de 19 H. Tout le monde transpire, de chaleur certes, il fait plus 30 degrés dans la salle, mais aussi de peur et d’incertitude. On n’entend même pas le flou flou des pagnes et toges quand la cour entre, comme d’habitude. Non !, car c’est l’heure de vérité, dans cette salle où la défense n’a parlé que de « mensonge » et « manipulation ». La cour a répondu « oui » à la majorité à toutes les questions. Commence ainsi l’un des prononcés les plus courts qui aura duré légèrement plus de deux minutes. « Octavien Ngenzi et Barahira Tito sont-ils coupables de génocide ? Oui ! "Sont-ils coupables de crimes contre l’humanité ? Oui ! », déclare la magistrate. Et de confirmer la peine requise contre les deux accusés. La peine de sureté de 22 ans pour Ngenzi n'a pas été retenue.
« Artisans de la mort »
L'accusation avait désigné les accusés comme des "artisans de la mort" ayant "pleine autorité" dans leur village, des rouages essentiels du génocide dans leur commune de Kabarondo. Deux hommes ayant "accumulé des privilèges et du patrimoine" et qui, soucieux de conserver des avantages politiques, peu importe qu’ils sont "allés jusqu'au bout de la logique génocidaire", a estime l’avocat général Frédéric Bernardo. Et, pour lui et son confrère Aurélie Belliot, Ngenzi, bourgmestre en exercice en 1994, est à ce titre "responsable de tous les morts de la commune". Etablissant la part de responsabilité du génocide à Kabarondo, où le seul massacre de l’église avait fait plus de 2000 morts, en la seule journée tristement mémorable du 13 avril 1994.
Ainsi, Barahira a donné des ordres de tuer dans son secteur à des gens qui ont tué et lui-même a tué. « Il a du sang sur les mains ». Par contre, Ngenzi ne fait pas, il fait faire. Il donne des ordres, supervise, là où il va « il déclenché des massacres ». « Il n’a pas le sang sur la main mais sur la conscience », selon la formule de l'avocat général. En 2016, le jury les avait reconnus coupables des mêmes faits constitutifs de « crimes contre l’humanité » et de « génocide » pour « une pratique massive et systématique d’exécutions sommaires » en application d’un « plan concerté tendant à la destruction » du groupe ethnique tutsi, et condamnés à la prison à perpétuité.
‘Un mot, et tout est sauvé »
Les témoignages des témoins, victimes pour la plupart mais aussi anciens détenus condamnés pour génocide à Kabarondo, ont été accablants. Ils accusent Barahira d'avoir participé, armé d'une lance, au tri des réfugiés survivants de l'église, où tous les Tutsis furent achevés. La défense le voyait autrement. Me Alexandra Bourgeot pointe les approximations des témoins, compte neuf rescapés qui "n'ont pas vu Barahira". "Il n'était pas à l'église", répète-t-elle.
Octavien Ngenzi, lui, a bien été "spectateur du massacre de l'église", "parce qu'il avait la trouille. Parce qu'il est humain, comme vous, comme moi", a affirmé un de ses conseils, Benjamin Chouai. Il complète sans doute son très jeune confrère Benjamin Boj, 29 ans, pour qui "ce n'est pas parce que vous avez été bourgmestre à l'époque du génocide que vous en êtes un rouage. Ce n'est pas automatique".
Epluchant un à un les principaux témoignages, l’autre avocat, Fabrice Epstein, met l’emphase sur les gestes du bourgmestre qui ont permis de "sauver" plusieurs de ses administrés. "Il a fait dans la mesure de ses moyens."Mais ils étaient "impuissants", "sans courage" et "sans autorité", pris dans la vague des tueries. Ce ne sont "pas des héros" mais "pas des criminels pour autant", avait conclu la défense. Et d’inviter le jury a prendre sa décision avec circonspection. « Un mot, et tout est sauvé ! Un mot, et tout est perdu !...Ce mot, que je implore de prononcer, c’est NON à la condamnation de Ngenzi »
Un message à l’impunité
"Cette décision est juste et c'est un message: stop à l'impunité pour tous ceux qui ont pris part au génocide et qui ont cru pouvoir se réfugier en France", a réagi Alain Gauthier, président du Collectif des sociétés civiles pour le Rwanda-CPCR- à l'origine de la plupart des enquêtes françaises sur le génocide perpétré contre les tutsis en 1994. A son actif, l’affaire Pascal Simbikangwa, successivement capitaine de l’armée et membre de « la police politique » dont la condamnation à 25 ans de réclusion criminelle a été entérinée par la cour de cassation.
« C’est juste et mérité », indique a son tour l’avocat général Frédéric Bernardo qui a conduit l’accusation. Que la peine de sureté de 25 ans n’ait pas été prononcée contre Ngenzi, c’est normal : « ils sont suffisamment âgés ». Et « cette fois-ci, ajoute-t-il, la famille de Ngenzi va se reconstruire sur de nouvelles bases autres que le mensonge » où il l’a longtemps « enfermée et retenue prisonnière ». La réparation des victimes, au civil, va faire très bientôt l’objet d’un procès à part, a encore indiqué le magistrat.
Le verdict a été accueilli dans un pesant silence, à peine troublé par les sanglots discrets de la famille des accusés, qui seront relayés par de discrètes émotions « versées » par un quidam de l’équipe de défense. Les deux anciens bourgmestres sont restés impassibles et stoïques, vite entourés par leurs avocats.
Ils ont cinq jours pour former un éventuel pourvoi en cassation.
En France, une vingtaine de dossiers liés au génocide rwandais sont encore à l'instruction, en attente d'un éventuel procès.