L’écriture de l’histoire a été au cœur de la justice transitionnelle cette semaine. En Tunisie, en Palestine, en Israël ou au Rwanda. La justice transitionnelle n’est pas seulement faite de mécanismes juridiques, de procès et de condamnations. Les processus de réconciliation passent aussi par une relecture commune d’un passé divisé.
Ainsi au Rwanda, seul pays victime d’un génocide où victimes et bourreaux se sont retrouvés à (re) vivre ensemble. Notre correspondant au Rwanda Emmanuel Sehene Ruvugiro est revenu à Gisenyi sur le lieu d’un des massacres du génocide de 1994, surnommé la « Commune rouge ». « Rouge » comme le sang des victimes à qui l’on faisait croire qu’ils allaient aller voir le bourgmestre de la commune de Gisenyi. Ruvugiro a rencontré les parents des tutsis massacrés comme Innocent Kabanda, qui était alors âgé de 13 ans. Kabanda raconte : « Au petit matin du 7 avril 1994 un groupe de miliciens vient appréhender mon père en lui expliquant qu’ils l’emmènent à « la Commune ». Mon père pense que ces jeunes miliciens vont le conduire devant le bourgmestre (maire) de l’endroit, un ami à lui. Muni de sa carte d’identité, il prend ainsi la route, encadré par les miliciens. Nous ne le reverrons jamais ».
Ruvugiro raconte aussi l’histoire de Sœur Felicita, une religieuse hutue qui protégeait des tutsis, massacrée elle aussi à la « Commune rouge » : « Au cimetière des Héros nationaux à Kigali, où se trouve sa tombe symbolique, il n’y a que sa photo, car son corps, jamais retrouvé, repose avec ceux de ses protégés, dans le silencieux anonymat de la « Commune rouge ».
La Tunisie qui a connu un passé moins tragique essaie de composer aussi avec son histoire. Avec pour enjeu, les manuels scolaires. Notre correspondante Olfa Belhassine explique : « La troisième étude du Baromètre de la justice transitionnelle, un mécanisme de recherche sur la justice transitionnelle, a pour objectif de réformer les manuels d’histoire. Dans ses recherches de terrain avec les rescapés de la dictature et sur les « régions victimes » de Tunisie, un sentiment persiste celui de l’oubli officiel, sinon du déni volontaire d’événements historiques de dimension dissidente”. Une omission vue comme : “une menace pour la mémoire d’autant plus que six ans après la révolution, seules de petites retouches ont été introduites dans les manuels d’histoire”.
Ce même souci est partagé par Said Abu Shakra, un Arabe israélien, qui a comme mission et ambition d’établir le premier musée palestinien dans l’Etat hébreu dans sa ville d’Umm-el-Fahem, 50 000 habitants. Avec la culture, avec un musée sur l’histoire du peuple palestinien, Said Abu Shakra espère sauver les jeunes de sa ville du désespoir et de la violence : « Les jeunes d’Umm-el-Fahem ont besoin d’espoir. S’ils sont humiliés et marginalisés, s’ils sont désespérés par la société israélienne, alors ils deviendront violents. Si au contraire, ils trouvent le chemin de leur fierté, alors ils canaliseront positivement leur énergie”.
Said Abu Shakra pense que les Israéliens comprennent et partagent son espoir.
Pierre Hazan, conseiller éditorial de JusticeInfo.net explique : “Aux visiteurs israéliens, Said Abu Shakra ne parle pas de la Nakbah ( NDLR en arabe la “catastrophe”, l’exode forcé des Palestiniens en 1948) : « Je parle de ma mère, Myriam, née dans le village de Lajoum sur lequel s’est construit un kibboutz. De ce qu’elle a vécu, Comment elle avait entreposé la nourriture dans un coin de la cuisine recouvert par un drap, car elle était sûre de revenir 48 heures plus tard. Mais cela n’a jamais été possible. Et les visiteurs alors connectent émotionnellement. A travers cette histoire, ils ne voient pas un million et demi de Palestiniens qui ont un passeport israélien et qui les menacent. Ils entendent l’histoire de Myriam ».
C’est une histoire que revendique ainsi l’historien français Patrick Boucheron dans sa leçon inaugurale au Collège de France : “Car l’histoire peut aussi être un art des discontinuités. Elle trouble les généalogies, inquiète les identités et ouvre un espacement du temps où le devenir historique retrouve ses droits à l’incertitude, devenant accueillant à l’intelligibilité du présent”.