Avec plus de 300 000 morts en cinq ans, des millions de déplacés et de réfugiés, la guerre en Syrie apparaît le symbole absolu des violations de tous les droits humains, le lieu le plus étranger au droit humanitaire. Mais, une ONG suisse L’Appel de Genève, entend ne pas baisser pas les bras et a refusé de déserter ce terrain si contraire.
Présente sur le terrain syrien depuis 2012, cette ONG entend disséminer des normes de droit international humanitaire auprès des groupes armés non étatiques. Elle prévoit de relancer sa campagne audiovisuelle et sur internet de sensibilisation aux normes de droit humanitaire Fighter not killer (Combattant pas assassin) le 19 septembre, au moment où le nouveau rapport de la commission internationale d’enquête indépendante sera publié aux Nations Unies.
En Syrie, la sélection des groupes armés n’est cependant pas sans difficultés. Le critère principal d’une telle sélection reste l’impact que pourraient avoir les actions de l’ONG sur ces groupes ; vient ensuite l’accès au terrain. L’Appel de Genève est amenée à travailler essentiellement avec des factions sunnites de l’Armée syrienne libre (ASL) qui est une coalition des groupes armés affiliés à l’opposition syrienne, et le Front islamique composé de combattants islamistes modérés et salafistes, mais aussi des groupes armés kurdes, soit aussi bien au sud qu’au nord de la Syrie. Le contact est établi avec ces groupes directement, comme c’est le cas dans les régions kurdes de Syrie soit au travers d’un partenaire local en vue de guider des combattants opposés au régime d’Al Assad sur les questions de droit humanitaire. Il s’agit ensuite de déterminer quel type d’actions sera le plus efficace. Ainsi, ce partenaire local a permis rien qu’en 2015 d’assurer des formations en droit humanitaire auprès de 300 combattants de l’armée syrienne libre et de l’armée islamique, mais aussi auprès de civils, comme ce fut le cas pour des avocats membres de l’association Free Syrian Lawyers.
Une fois sur le terrain, comment convaincre ces groupes armés de se soumettre à des normes qui leur paraissent bien loin de la réalité de la guerre ? C’est en se concentrant sur le droit islamique que l’ONG suisse pense avoir trouvé une partie de la solution, car « il ne s’agit pas d’utiliser des normes qui paraissent imposées. Les similarités entre le droit islamique et les normes de droit humanitaire sont nombreuses » explique Nicolas Sion, responsable de communication. L’ONG reconnaît par ailleurs que si la responsabilité de ces combattants pourrait être engagée au niveau international, cela n’est pas l’argument le plus décisif pour ces groupes rebelles. Ils ont cependant bien conscience de l’importance de respecter ces normes pour leur réputation dans la conduite de cette guerre, « ils réfléchissent aussi à leur intérêt sur le long terme. » Cette question se trouve renforcée dès lors qu’un de ces groupes est amené à signer un acte d’engagement auprès de L’Appel de Genève, cela les engage publiquement, même si « le but n’est pas toujours d’arriver à faire signer un acte d’engagement surtout si le groupe n’est pas structuré, ce n’est pas efficace. » Dans ce cas, l’ONG pourrait plutôt tenter de leur faire modifier leur code de conduite pour qu'il soit conforme au droit humanitaire.
Toutefois, les difficultés de terrain s’accumulent dès lors que la multiplication des groupes avec un petit contingent militaire ne les rend pas toujours identifiables, alors que l’aboutissement à la signature d’un acte d’engagement peut prendre des mois de discussion. « Il est arrivé par exemple qu’un groupe se dissolve quelques mois à peine après l’avoir signé. Ce qui est vrai aujourd’hui ne l’est pas forcément demain dans le contexte syrien » ajoute le responsable de communication. D’où l’intérêt de la campagne audiovisuelle Fighter not killer qui expose les normes de droit humanitaire de façon simple afin de toucher de manière plus diffuse les combattants sur le terrain.
Une fois l’acte d’engagement signé, il faut pouvoir assurer un suivi. Lorsque L’Appel de Genève a pu obtenir la démobilisation de plus de 200 enfants soldats kurdes, l’ONG s’est rendue près de Qamishli en 2015 afin de s’assurer du respect de l’acte d’engagement et d’enquêter sur les allégations et les cas de violations de l’acte, et d’étudier les mesures complémentaires à prendre. Dans le souci d’assurer un dialogue constant avec les groupes, un comité de suivi a aussi été mis en place. Mais L’Appel de Genève peut aussi compter sur la coopération des ONG et des journalistes locaux qui eux-mêmes vont relayer toute information utile au suivi des engagements.
Les questions d’insécurité demeurent un obstacle pour l’accès aux groupes armés, il est donc préférable parfois de les rencontrer à l’extérieur. C’est ainsi qu’une dizaine de commandants de l’Armée syrienne libre ont suivi une formation délivrée par des juristes de l’ONG à Genève au mois de décembre 2015. Néanmoins, l’enjeu pour ce genre d’actions est aussi d’assurer un suivi pour garantir des retombées positives sur le terrain, retombées qui pour le moment ne semblent pas assez visibles.
L’Appel de Genève est financée par différents gouvernements (Union européenne, Suisse, Suède) et des donateurs institutionnels. Afin de mener à bien ses objectifs, l’ONG est intervenue sur divers terrains (Liban, Yémen, Niger, Colombie, etc.) où elle tente d’approcher le plus grand nombre de combattants sans discrimination ni considération politique.