Un court film inédit montrant des réfugiés arméniens après le génocide de 1915, trésor historique retrouvé par hasard, va être projeté jeudi à Bologne (centre) dans le cadre du festival "Il cinema ritrovato".
Les images obtenues par l'AFP, muettes et sans légende, datent de 1923 et montrent des enfants s'entassant sur des bateaux en Turquie, mais aussi des colonnes de réfugiés sur une route, ou des familles installées dans des wagons.
Pour commémorer le centenaire du génocide, le festival dont la 29e édition s'est ouverte samedi, avait choisi de rendre un hommage au cinéma arménien.
Ainsi, le public pourra voir le premier film arménien, "Namus" (L'honneur, 1925) de Hamo Beknazarian, mais aussi "Sayat Nova" (La couleur de la grenade, 1969) de Serguei Paradjanov, récemment restauré et "Naapet" (1980), de Henrik Malyan, sur un survivant du génocide.
Le festival présente aussi de rares images documentaires, comme ces cinq minutes tournées en 1918 par l'armée française et montrant "des camps de réfugiés arméniens" à Port-Saïd, en Egypte.
Mais le trésor du festival repose surtout dans les quatre minutes de "Armenia, cradle of humanity" (Arménie, berceau de l'humanité), tournées en Turquie peu après le génocide. Jusqu'à présent, seules des photos, comme celles de l'Allemand Armin Wegner, témoignaient de cette période.
Mariann Lewinsky, l'une des commissaires artistiques du festival, est tombée dessus par "miracle", en fouillant sur internet la banque de données de la Fédération internationale des archives du film (Fiaf).
D'auteur inconnu, arrivé on ne sait comment à la Société historique de l'Oregon aux Etats-Unis, le film était en dépôt à la Librairie du Congrès américain, explique cette chercheuse suisse à l'AFP, en faisant défiler la bobine récemment restaurée.
- 'Un miracle' -
"J'envoie un petit mail à mes collègues de la Librairie qui me disent +oui, on a quelque chose, mais on ne sait pas quoi+. J'insiste un peu, et je leur demande d'aller voir l'état du film", raconte Mme Lewinsky.
Normalement, ce genre de demande prend du temps mais là, elle reçoit très vite des photos prises avec un téléphone: "C'était des images extraordinaires, on voyait un bateau plein d'enfants, des trains..."
Enthousiaste, elle demande le film à ses interlocuteurs américains, qui le lui envoient en expliquant que ces images ne les intéressent pas trop, se souvient-elle en souriant.
Un premier examen de la bobine lui permet de déterminer que les images datent de 1923. "Je me dis +ce sont peut-être des Grecs déplacés+ mais plus tard, je remarque un palais très connu d'Istanbul", ajoute-t-elle.
Et des collègues lui confirment: après la guerre, les Britanniques ont recueilli dans ce palais des orphelins arméniens avant de les évacuer.
Ce sont bien donc de très rares images, dramatiques, de réfugiés arméniens juste après le génocide: "C'est un miracle", s'émeut encore Mme Lewinsky.
Entre 1915 et 1917, les massacres et déportations d'Arméniens dans l'Empire ottoman ont fait plus de 1,5 million de morts, selon l'Arménie. Ankara refuse le terme de génocide et évoque une guerre civile, dans laquelle 300 à 500.000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort.
Mais selon Mme Lewinsky, une "nouvelle Turquie" est en train de naître, où "les Kurdes, les Grecs, les Arméniens et les Turcs" se dirigent vers des "moments de réconciliation".
Son espoir est porté par les élections législatives du 7 juin, qui ont vu le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 13 ans perdre sa majorité absolue, tandis que progressait le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde).
Pour favoriser cette réconciliation, "nous voudrions diffuser ces images partout", affirme la chercheuse suisse, en évoquant la possibilité de les envoyer à un petit festival d'Istanbul consacré au cinéma muet.