La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers a rendu mardi un avis favorable à l'extradition vers le Rwanda d'un Poitevin de 49 ans, Innocent Bagabo, que son pays de naissance accuse d'avoir participé au génocide de 1994.
Cet arrêt rendu par les magistrats de Poitiers ne signifie pas pour autant qu'Innocent Bagabo sera prochainement extradé, a expliqué mercredi une source judiciaire à un correspondant de l'AFP. "Il s'agit d'un avis, et lorsque la justice émet un avis favorable, la décision finale est de toute façon du ressort du ministère de l'Intérieur", souligne cette source.
En outre, l'avocat de M. Bagabo, Arthur Vercken, pourrait former un pourvoi en cassation contre cette décision, tout comme le parquet général de la cour d'appel de Poitiers qui dit étudier la question.
L'arrêt de la chambre de l'instruction prend le contre-pied de décisions rendues en février 2014 par la Cour de cassation ainsi que des réquisitions prises en février dernier par l'avocat général, qui invoquait cette jurisprudence interdisant de facto toute extradition des personnes accusées de génocide par le Rwanda. La plus haute juridiction française estime en effet que le crime spécifique de génocide n'était pas inscrit, à l'époque des faits, dans le code pénal rwandais. Dès lors, seules d'éventuelles poursuites en France seraient possibles.
La chambre de l'instruction a privilégié d'autres arguments juridiques, développés par un universitaire de Limoges, Damien Roets. Elle relève ainsi que le droit pénal rwandais a été conçu par les Hutus, accusés des tueries, et validé par une assemblée nationale où ils occupaient tous les sièges à l'exception d'un seul.
Les magistrats ont donc considéré que, dès 1975, le Rwanda avait ratifié une convention internationale de 1948 concernant la répression du crime de génocide, ce qui revenait à en reconnaître le mécanisme et la nécessaire sanction.
A l'audience de février, Me Vercken avait affirmé que le dossier instruit par le Rwanda contre son client, devenu français après avoir bénéficié du statut de demandeur d'asile, était "construit de toutes pièces, une machination. On a recueilli seize témoignages à charge en une semaine".
Soutenu par l'organisation de défense des droits de l'Homme Amnesty International, M. Bagabo est accusé par la justice rwandaise d'avoir massacré de sa main, à la machette ou à la grenade, des dizaines de Tutsis, hommes, femmes et enfants. Il est pourtant lui-même tutsi par sa mère, dont toute la famille a été massacrée durant le génocide. Quant à son père, issu de l'ethnie hutu, et sa soeur, ils ont eux aussi été assassinés, mais par les troupes du Front patriotique rwandais (FPR), actuellement au pouvoir.
Réfugié en Tanzanie, Innocent Bagabo était rentré spontanément au Rwanda où il avait intégré un comité de réconciliation après la guerre civile, avant de devenir enquêteur des Droits de l'Homme.
Mais il affirme que, quelques années plus tard, il a refusé de porter de fausses accusations contre des suspects. Ce refus lui a valu les foudres du pouvoir rwandais, assure son avocat.