Le gyrophare de la voiture de police éclaire de rouge et bleu une rue poussiéreuse et obscure du village de La Asunta, dans les Andes boliviennes. Ses occupants ont aperçu deux enfants. "Couvre-feu ! Rentrez chez vous", ordonnent-ils.
De 22H00 jusqu'à l'aube, les mineurs sont interdits de sortie dans le village, une mesure accompagnée d'une prohibition totale de la vente d'alcool, en vigueur depuis le viol d'une fillette de 11 ans fin mai qui a bouleversé la petite communauté.
Depuis lors, des villageois - agriculteurs, petits commerçants... - ont constitué un groupe de vigiles volontaires qui soutient la police dans ses rondes.
A bord du fourgon, ils accompagnent les agents. La température frôle les 5°C. Les volontaires mâchent des feuilles de coca, une pratique andine ancestrale pour résister au froid et à la fatigue.
Ce couvre-feu, inédit dans l'histoire locale récente, et l'interdiction de vente d'alcool ont été décrétés en juin pour une durée initiale d'un mois.
Mais Reynaldo Calcina, maire de ce village de 2.000 habitants à une centaine de kilomètres au nord-est de La Paz, prépare une réglementation pour rendre ces mesures permanentes. D'autant que dans une commune voisine, deux fillettes ont également été violées.
- 'Nous exigeons la justice' -
Pour les habitants de La Asunta, bourgade située dans une zone de production de coca - la plante servant à fabriquer la cocaïne -, l'insécurité est quotidienne. Le trafic de drogue et de voitures volées est monnaie courante, au grand dam de la population. L'alcool coule à flot et son rôle est pointé du doigt dans diverses affaires de viols.
Ulcérée, la communauté n'a pas hésité à faire justice elle-même dans le cas de la fillette de 11 ans violée, en forçant, selon plusieurs habitants, le suspect à défiler dans la ville, tout penaud, avant de lui asséner des coups de fouet.
"Le 30 mai, ma petite fille a été violée, je l'ai retrouvée toute ensanglantée", raconte avec douleur à l'AFP Edmundo Luna, le père de l'enfant. "Nous exigeons la justice, parce que la police nous a demandé de l'argent" lorsque la famille a déposé plainte, déclare-t-il avec indignation.
L'auteur présumé du viol, âgé de 18 ans, a été arrêté. Il était ivre au moment du crime.
"C'est à cause de cela que nous avons décidé d'interdire la vente d'alcool, en accord avec la population", explique le maire.
Selon les chiffres officiels, 326 cas de violences sexuelles, dont 141 envers des mineurs de moins de 12 ans et 185 envers des adolescents âgés de 13 à 17 ans, ont été enregistrés en 2014.
Mais les données publiées par l'ONG Mission Justice Internationale sont plus alarmantes encore : selon elle, au moins 16 enfants, filles et garçons, sont violés tous les jours en Bolivie, l'un des chiffres les plus élevés du continent.
Virginia Chuquimia, une paysanne mère de six filles, prône une mesure radicale : "En tant que mère, je dis que s'il arrive quelque chose à ma fille, si on la viole, je ferai justice moi-même: je tue le violeur, j'achète 20 litres d'essence et je le brûle ! Je le ferai, parce qu'il n'y a pas de justice", assène-t-elle.
- Une tranquillité nouvelle -
Depuis la mise en place de ces patrouilles, "nous amenons parfois nous-mêmes les mineurs qui ne respectent pas le couvre-feu à la police", indique à l'AFP Juan Carlos Coche, le dirigeant de l'association de riverains qui encadre le groupe de vigiles volontaires.
Il se félicite que les choses aient ainsi changé depuis quelques semaines. Avant le couvre-feu, "il y avait beaucoup de consommation d'alcool, des vols, des braquages, et bien sûr ces agressions sexuelles...", raconte-t-il.
La prochaine halte de la petite expédition vise une voisine et son public de jeunes clients, auxquels elle est soupçonnée de vendre clandestinement de l'alcool, dans son salon transformé en salle de billard avec jukebox, piste de danse improvisée et accès payant à internet.
Mais arrivés sur place, policiers et vigiles trouvent porte close. "Apparemment, ils ont eu vent de notre arrivée", déplore le chef de la police de La Asunta, le sergent Florencio Quispe.
A La Asunta, les femmes soutiennent le couvre-feu et l'interdiction de vente d'alcool. "Il n'y a plus autant de cas de violences qu'auparavant contre les femmes ici", relève le sergent Quispe.
Les hommes, eux, sont nettement moins enthousiastes mais globalement résignés. Hormis les patrons de bars et cantines qui se plaignent de perdre de l'argent...
Julio Mamani, responsable d'une association de commerçants, demande plus de flexibilité de la part des autorités : "Nous ne sommes pas d'accord pour que l'on nous blâme pour les crimes commis", lance-t-il.
Mais il reconnaît apprécier la tranquillité que connaît désormais le village.