Ce 30 juin, un jeudi, au soleil de la saison sèche à Kinshasa, comme en 1960 au moment de l’indépendance de la République Démocratique du Congo (RDC), se tient la cérémonie d’inhumation de Patrice Emery Lumumba. Le premier des Premiers ministres du Congo libre repose désormais dans le mémorial qui porte son nom, sur le boulevard qui porte son nom, dans la commune de Limete, à Kinshasa. Le cercueil dans lequel se trouve sa dent, tout ce qui reste du « père de l’indépendance » a été déposé dans ce mausolée, qui a couté plus de 2 millions de dollars au trésor public, à quelques mètres de la tour de l’Échangeur de Limete, ouvrage de plus de 200 mètres de haut construit dans les années 1970 et rénové pour la circonstance. Juste au-dessus du mausolée en verre et béton, œuvre réalisée par l’entreprise chinoise SZTC, se trouve une statue du héros national pour qui le pays vient d’observer trois jours de deuil national.
La famille Lumumba et plusieurs personnalités, dont des diplomates étrangers ont pris part à la cérémonie présidée par le chef de l’État Félix Tshisekedi. Son homologue du Congo voisin, Denis Sassou-Nguesso, a fait le déplacement pour rendre hommage à celui qu’il considère comme un « héros africain ». Tout le monde est debout, les yeux rivés sur le cercueil fabriqué dans du bois congolais recouvert du drapeau congolais, pendant la procession qui accompagne la relique jusqu’au mémorial. C’est le héros national qui se trouve dans ce cercueil. Le président s’est adressé personnellement au premier Premier ministre de son pays, devant les Congolais de plusieurs générations. « Cher héros national, c’était dans la nuit du 27 novembre 1960 que vous aviez quitté Kinshasa alors Léopoldville dans l’anonymat le plus total. Vous voilà de retour, 61 ans après, sous le doux soleil du 30 juin, jour sacré de notre libération du joug colonia », a dit Tshisekedi à Lumumba.
Ultime retour aux sources historiques
Quelques jours plus tôt, le 19 juin, l’airbus de la compagnie Congo Airways baptisé Patrice Emery Lumumba et portant son effigie, avec à son bord une délégation congolaise conduite par le Premier ministre Sama Lukonde, avait atterri à l’aéroport de Melsbroek à Bruxelles, avec une mission. Mission accomplie, le 22 juin, lorsque l’avion se pose, à l’aube, sur la piste de l’aéroport international de N’Djili, au lendemain de la restitution par la Belgique. Une dent. C’est ce qui reste du « père de l’indépendance » après que son corps a été dissout dans l’acide, après son exécution le 17 janvier 1961. « Cette date était jusque-là la seule tombe de Lumumba », déplorait sa fille cadette Juliana, en larmes, lors de la cérémonie de restitution de cette dent, le 20 juin à Bruxelles.
Après une brève escale à Kinshasa, la dépouille de Lumumba est retournée sur ses terres historiques. Première étape, bien sûr Onalua, son village natal, devenue Lumumba-ville, dans la province du Sankuru. Le cercueil a pris ensuite la direction de Kisangani, ex-Stanley ville, dans le Nord-Est, où a débuté son combat politique. C’est là qu’est né son parti, le Mouvement national congolais. L’avant dernière étape de cette tournée organisée par le gouvernement congolais a été le Haut-Katanga et le village de Shilatembo où il a été tué, avec ses compagnons Maurice Mpolo et Joseph Okito, à environ 50 kilomètres de Lubumbashi.
Des excuses, dans l’attente de vérité
Dans son oraison funèbre le 30 juin, Tshisekedi a remercié les autorités belges « pour avoir contribué au rétablissement de la vérité sur le triple assassinat [exécution de Lumumba, Joseph Okito et Maurice Mpolo, ndlr] ». « C’est seulement après avoir dit la vérité, après avoir établi les responsabilités des uns et des autres que nous pourrons ensemble, congolais et belges, entamer l’étape déterminante du pardon, de la justice et de la réconciliation véritable et définitive », a déclaré le chef de l’État, sans exprimer plus d’exigence en matière de réparations ou de restitutions du patrimoine spolié du temps de la colonisation.
Sur le volet judiciaire, c’est la famille Lumumba qui est montée au front. En 2011, elle a déposé une plainte en Belgique pour crime de guerre, torture et traitement dégradant, nous précise sa petite-fille Yema Lumumba. En février dernier, ajoute-t-elle, la juge d’instruction a demandé à la Chambre des Représentants de lui communiquer les documents de la commission d’enquête parlementaire belge qui a statué entre 2000 et 2001 sur l’assassinat de Lumumba. La commission avait conclu à une simple responsabilité morale de la Belgique.
Lors de la cérémonie de restitution à Bruxelles, Alexander De Croo, le Premier ministre belge, a déclaré : « Cette responsabilité morale du gouvernement belge, nous l’avons reconnue. Je le répète à nouveau, en ce jour officiel d’adieux de la Belgique à Patrice Emery Lumumba. Je souhaiterais ici, en présence de sa famille, réitérer les excuses du gouvernement belge pour la manière dont il a pesé à l’époque sur la décision de mettre fin aux jours du Premier ministre. »
Certes la restitution remue le couteau dans la plaie . Le président de l’Assemblée nationale Mboso NKodia a souligné quelques jours plus tôt que le roi de Belgique venait « enterrer une page de l’histoire douloureuse entre la République démocratique du Congo et le Royaume de Belgique ». Passé pour lequel le roi Philippe a exprimé des « regrets », début juin, devant le Palais du peuple (siège du Parlement à Kinshasa), au même endroit où le cercueil de Lumumba était placé pour ses obsèques nationales. Mais rares sont les voix qui s’élèvent pour demander plus, en matière de réparations, concernant les crimes coloniaux.
Complaisance des gouvernements ?
Pour la Nouvelle société civile congolaise (NSCC), l’une des plus grandes organisations de la société civile du pays, les gouvernements belge et congolais se complaisent mutuellement et encouragent l’impunité en se satisfaisant de ces cérémonies symboliques. « Nous réclamons justice et réparation pour Patrice Emery Lumumba », déclare Jonas Tshiombela, coordonnateur national de la NSCC. C’est « regrettable » que le gouvernement n’exige pas réparation mais se contente d’avoir ramené la relique, estime- t-il. « Il n’y a pas d’excuses sans réparation », soutient également Prince Epenge, porte-parole de la coalition de l’opposition Lamuka. « Nous sommes contents, bien que les conditions de sa mort restent encore à déterminer, les responsabilités également et les réparations. Mais le deuil peut finir, le reste va suivre », a exprimé Lambert Mende, homme politique, originaire du Sankuru comme Lumumba lors des cérémonies organisées dans sa ville natale d’Onalua.
Le 5 septembre prochain, indique Yema Lumumba, la Cour d’appel de Bruxelles a convoqué la famille pour une audience qui lui permettra de savoir si elle aura accès aux procès-verbaux des auditions à huis-clos de la commission parlementaire belge sur l’assassinat de Lumumba. Son fils ainé, François, se veut rassurant : « Il y a des documents qui se trouvent au Parlement depuis des années, et nos avocats voudraient les consulter. Jusqu’à maintenant, ils n’ont pas encore reçu cette autorisation. Je crois que d’ici là, ils auront tout cela », dit-il.