En Chine, la cicatrice jamais refermée de la guerre contre le Japon

2 min 54Temps de lecture approximatif

Près de huit décennies après avoir été plongée dans l'effroi par les obus qui pleuvaient sur son quartier de Pékin, Yan Guiru se souvient de cette ouverture des hostilités entre la Chine et le Japon, une guerre encore utilisée par le régime communiste pour légitimer son pouvoir.

"Soudain, on a entendu les tirs. Quelqu'un a crié: +Les Japonais arrivent!+. On s'est précipité dans la maison et on s'est caché sous les lits", relate Mme Yan, âgée de 95 ans.

Ce 7 juillet 1937, resté dans l'Histoire chinoise comme "l'incident du triple 7", mit aux prises une poignée de soldats chinois et des troupes nippones en manoeuvre. L'accrochage servit de prétexte aux Japonais pour envahir Pékin et la Chine, alors gouvernée par le Kuomintang, le parti nationaliste renversé par les communistes à la victoire de Mao Tsé-toung en 1949.

Les combats se déroulèrent autour du pont Marco Polo, à une quinzaine de kilomètres du centre de la capitale.

Yan Guiru, jeune mariée de 17 ans, habitait à 100 mètres de ce pont très ancien, mentionné dans les récits du grand voyageur vénitien.

"J'étais terrifiée. Tout le monde l'était. J'ignore combien de temps a duré le bombardement", poursuit-elle. La "Guerre de résistance du peuple chinois contre l'agression japonaise", ainsi que l'appelle Pékin, a fait en huit ans plus de 20 millions de morts chinois, selon les autorités communistes.

Ces dernières reprochent à Tokyo de refuser d'admettre l'ampleur de ses crimes de guerre et jouent la carte de la victimisation, associant ce contentieux historique aux différends territoriaux qui opposent actuellement les deux pays.

- L'accent sur les commémorations -

En cette année anniversaire de la capitulation du Japon, le régime chinois entend donner une solennité inédite aux commémorations.

Mardi, devant d'immenses bannières rouges, Liu Yunshan, membre du comité permanent du bureau politique du PC chinois, plus haute instance du pays, a donné le coup d'envoi en haranguant une foule de militaires, de vétérans et d'écoliers rassemblés près du pont Marco Polo, a constaté un photographe de l'AFP.

L'apogée est prévue avec un grand défilé militaire le 3 septembre, jour de célébration du 70e anniversaire de la capitulation du Japon, qui sera férié.

Dans cette campagne, les témoignages se multiplient d'anciens combattants et des victimes de l'époque, comme Mme Yan.

Celle-ci se souvient que, lorsque les échanges de tirs ont cessé autour de son logis, elle a émergé de sous son lit, avec son mari, ses parents et ses soeurs, n'osant se risquer dehors durant plusieurs jours.

Finalement, les soldats nippons ont défoncé la porte de sa maison, et Yan et ses belles-soeurs se sont cachées derrière leurs maris respectifs, redoutant d'être traînées à l'extérieur puis violées.

"Heureusement, ils ne nous ont pas emmenées", poursuit la nonagénaire. "Mais ils ont volé notre cochon, un poulet et tout ce qu'ils trouvaient à manger".

L'agence officielle Chine nouvelle a prévenu lundi que, d'ici le 3 septembre, pas moins de 183 spectacles vivants seront montés sur ce thème, auxquels s'ajouteront 10 nouveaux films, 12 séries télévisées, 20 documentaires et trois dessins animés, diffusés à l'échelle nationale. Plus de 100 livres et 20 éditions électroniques vont aussi être publiées.

- Des humiliations au "Rêve chinois" -

Même si ce fut l'armée du Kuomintang qui encaissa le plus gros du choc de l'invasion japonaise, ces supports mettront en évidence "le rôle pivot" du Parti communiste dans la guerre, a assuré Tian Jin, chef-adjoint de l'organisme de supervision des médias en Chine, où l'Histoire reste au service de la propagande.

Le PC chinois se sert des "humiliations" du passé pour "unifier et se connecter à la population", confirme Kerry Brown, professeur à l'Université de Sydney.

Et, avec le "Rêve chinois" mis en avant par le président Xi Jinping, qui entend faire "reprendre au pays son statut de grande puissance, respectée et admirée à l'échelle mondiale", il faut selon lui s'attendre à davantage de propagande similaire.

Me Yan Guiru occupe toujours la même maison traditionnelle d'un étage qu'en 1937. Ses voisins la saluent avec respect dans le quartier, qu'elle arpente à petits pas, s'appuyant sur sa canne en bois et sur ses pieds bandés dans sa jeunesse, selon une coutume qui perdura jusqu'au début du XXe siècle.

"Je ne pense pas que le Japon deviendra un jour ami de la Chine", confie la vieille dame.