Srebrenica sacrifiée sur l'autel d'une paix injuste, selon une analyste

Srebrenica sacrifiée sur l'autel d'une paix injuste, selon une analyste©ONU Multimedia
L’ex-chef militaire des Serbes de Bosnie, Ratko Mladic, devant le TPIY.
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Dans « Le sang de la realpolitik », un livre-enquête paru aux éditions Don Quichotte, Florence Hartmann, ancienne journaliste au Monde et ex- porte-parole de la procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), accuse les Occidentaux d'avoir « négocié l'abandon de Srebrenica et, par ce marché de dupe » d'être « devenus les facilitateurs du dernier génocide du XXème siècle ». A quelques jours des commémorations du massacre de Srebrenica, au cours duquel plus de 6000 musulmans de Bosnie ont été exterminés en juillet 1995 par les forces bosno-serbes, l'ouvrage dénonce « vingt ans de mensonge et de manipulations ».

Pour la journaliste, « la raison de fond de la chute de Srebrenica n'est pas à chercher dans l'absence de volonté politique affirmée d'intervenir à Srebrenica ni dans l'incompétence réelle ou présumée des militaires de l'ONU », comme l'affirment depuis 20 ans rapports officiels et diplomates dans leur mea culpa, « mais bien dans le choix délibéré de précipiter la paix à n'importe quel prix. » L'ONU n'a pas échoué, écrit-elle, réhabilitant l'organisation si souvent critiquée. Quant à ses Etats membres, ils n'ont pas échoué, mais décidé, en connaissance de cause, selon la thèse de l'auteure, de sacrifier Srebrenica qu'ils avaient pourtant eux-mêmes choisi de protéger en 1993, « pour se sortir au plus vite du bourbier balkanique ».  

Se basant sur les différents rapports d'enquête, de l'ONU, des Pays-Bas, du parlement français, sur les procès du TPIY mais aussi sur des archives américaines déclassifiées, l'auteure démonte les rouages « d'un calcul politique visant à simplifier la négociation diplomatique en clarifiant la carte de partage ethnique de la Bosnie-Herzégovine. Avec pour ultime objectif de précipiter un accord de paix. En un mot, Srebrenica va tomber au nom d'une raison d'État qui se trouve à Paris, à Londres, à Washington et peut-être même à Sarajevo. »

 

Plus de 6 000 hommes exécutés

Pour les Occidentaux, la paix n'est possible qu'en concédant aux Serbes une victoire sur Srebrenica. Convaincu qu'aucune issue n'est envisageable sans l'engagement américain, les Européens passent la main au négociateur, Robert Frasure, bras droit du secrétaire d'Etat adjoint aux Affaires étrangères Richard Holbrooke, qui va donc s'attacher à convaincre Slobodan Milosevic, maître du jeu à Belgrade, de faire céder les Bosno-serbes de Radovan Karadzic. Srebrenica contre la paix. Carte blanche est donnée à Mladic pour lancer ses troupes sur Srebrenica, ce qu'il fera début juillet 1995. Tandis que les officiers de la Forpronu sont neutralisés. « Les militaires onusiens n'avaient plus, début juillet 1995, l'autorité de solliciter des frappes aériennes », dont l'autorité de déclenchement avait été provisoirement remise aux généraux de l'Otan. « Les grandes puissances n'avaient donc nul besoin d'ordonner aux commandants militaires de ne rien faire. Elles avaient juste à attendre en silence, affirme la journaliste. A attendre que les armées simplifient les cartes et, du même coup, la négociation diplomatique. » A Srebrenica, les troupes du général Mladic déportent femmes et enfants par autobus vers « les territoires libres » de Bosnie, sous le regard passif des Casques bleus néerlandais, tandis que plus de 6000 hommes sont exécutés dans des fermes, des écoles et des entrepôts alentour. « De cette barbarie, les dirigeants serbes de l'époque et les forces sous leurs ordres sont les coupables, écrit Florence Hartmann, mais au-delà de cette responsabilité première, il y a celle de la communauté internationale. » Au premier rang de laquelle, les Etats-Unis, la France et le Royaume uni, qui, pour l'auteure, auraient violé la convention sur le génocide pour obtenir la paix à tout prix.