Assis au premier rang en costume noir et chemise bleue, Alieu Kosiah reste d’abord impassible. Mais au gré de la lecture du jugement d’appel contre lui, il réagit par un ricanement paradoxal. Car il n’y a rien de drôle dans le fruit du délibéré des juges du Tribunal pénal fédéral suisse, implacable dans sa froideur. Au bout de quelques minutes, le suspense a disparu. Condamné en première instance à 20 ans de réclusion pour crimes de guerre, l’ancien rebelle libérien voit sa culpabilité alourdie du chef d’accusation de crimes contre l’humanité. Seul et maigre lot de consolation pour cet ex-commandant de l’Ulimo, un des groupes armés du Liberia des années 90, son interdiction de territoire est passée de quinze à dix ans, une fois sa peine purgée. Emprisonné depuis novembre 2014, il pourrait être libéré pour bonne conduite au plus tôt en 2028, une fois les deux tiers de sa peine effectués.
Durant la lecture du verdict, le juge Olivier Thormann a d’abord énuméré les principaux axes de défense de Kosiah dont les éléments centraux, tout au long du procès en appel, ont été de dire qu’il n’était pas présent sur les lieux au moment des faits et que l’ensemble de l‘accusation était un complot mené par l’ONG suisse Civitas Maxima. Cette ligne d’argumentation est rapidement balayée par les juges. Ils observent qu’avant de prendre les déclarations des plaignants en compte, ils ont « consulté de nombreuses sources indépendantes, des articles ou encore le rapport de la commission de réconciliation et vérité, qui documentaient les agissements des Ulimo [Front uni de libération du Liberia] dans le Lofa », région à l’extrême nord du Liberia. Ils constatent également que les déclarations de l’accusé lui-même durant les premières auditions, puis celles de plusieurs témoins de la défense, ont contredit son absence des lieux de combat entre 1993 et 1995.
Pour la Cour, Alieu Kosiah a ainsi pris « une part active dans la conquête du Lofa en tant que membre de l’État-major des Ulimo et proche du commandant Pepper and Salt ».
Pas de complot
Les juges se sont ensuite attardés sur les accusations de complot. En notant que « les déclarations des témoins qui se contredisaient à certains endroits démontraient au contraire qu’il n’avaient pas été coachés par l’organisation » et « qu’aucune preuve concrète » de cette théorie n’avait pu être apportée par la défense. Pour la chambre, « M. Kosiah a confondu la crédibilité des témoins et celle de leur témoignage ». Elle lui reproche d’avoir systématiquement cherché des incohérences dans le discours des victimes pour tenter de les décrédibiliser sans jamais s’exprimer sur le fond des griefs portés contre lui. La cour a également fustigé le choix de la défense de présenter trois témoins « très peu crédibles » en première instance pour venir contredire les dires des parties civiles.
Si elle l’acquitte sur le traitement cruel de certains civils, la cour reconnaît Alieu Kosiah coupable de la plupart des accusations, dont plusieurs meurtres, la profanation de cadavres, des transports forcés ainsi qu’un viol.
Soulagé, l’un des avocats des victimes, Romain Wavre, explique au sortir de l’audience que « c'est une réelle victoire pour mes mandants qui ont dû faire face et répondre à des témoins venant du même village qu'eux, cités par la défense et que la cour a qualifiés « d’évidemment préparés ». Ce verdict confirme la sincérité des souffrances exprimées par mes mandants depuis les premiers jours de l’enquête ».
« Un grand jour pour les victimes »
Pour Raphael Jakob, autre avocat des victimes, ce qui est important est que la cour d’appel a retenu le chef de crime contre l’humanité en plus de celui de crime de guerre. « C’est une décision importante qui pourra avoir un impact également sur la poursuite d'autres atrocités devant les autorités suisses », dit-il. Alain Werner, avocat et fondateur de Civitas Maxima, l’ONG à l’origine de ces poursuites, ne cache ni sa joie ni son émotion. « Pour les victimes, c’est une reconnaissance. Ils ont dû affronter Ebola, le Covid et des menaces bien réelles pour venir témoigner trois fois en Suisse dans une procédure de plus de neuf ans. C’est héroïque ! », s’exclame-t-il.
L’autre acteur majeur dans ce dossier est l’ancien journaliste libérien Hassan Bility, devenu directeur du Global Justice and Research Project (GJRP), ONG partenaire de Civitas Maxima. « C’est un grand jour pour les victimes des deux guerres civiles libériennes. Cette décision permettra de demander à la communauté internationale de mettre la pression sur le gouvernement libérien pour accélérer la mise en place des recommandations de la commission vérité et réconciliation », qui comprenait l’organisation de procès au niveau national, réagit-il au téléphone depuis le Liberia.
Déçu, Dimitri Gianoli, avocat de Kosiah, dénonce quant à lui une « décision politique » qui ne tient pas compte « des nombreuses incohérences des victimes ». Interrogé sur la possibilité de faire appel à cette décision devant le tribunal fédéral, il n’a pas souhaité répondre tout de suite, indiquant qu’il attendait de lire la décision pour se décider de concert avec son client. La défense dispose de trente jours à compter de la réception du jugement pour le faire.