"Guerre juridique totale" : l'autre front dans la guerre d'Ukraine

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Le 26 février 2022, alors que les chars russes avancent vers Kiev, les avocats ukrainiens ouvrent un autre front en déposant un recours contre Moscou devant la Cour internationale de justice (CIJ).

Les salles dorées du Palais de la Paix à La Haye, où siège la Cour, sont à mille lieues des tranchées du Donbass, mais l'Ukraine estime que son offensive juridique contre la Russie constitue un élément essentiel de son combat.

Quelles sont les affaires en cours dans le cadre de la campagne ukrainienne de "guerre juridique" tous azimuts contre Moscou et, compte tenu des faibles chances de voir la Russie s'y conformer, quel en est l'intérêt ?

- Quelles sont les lignes de front juridiques ? -

La Haye, Strasbourg et Hambourg.

L'Ukraine a traîné la Russie devant la CIJ, qui statue sur les différends entre nations, en faisant valoir que le président Vladimir Poutine a abusé de la convention des Nations Unies sur le génocide lorsqu'il a utilisé un prétendu "génocide" dans l'Est de l'Ukraine comme prétexte à une invasion. Les plaidoiries finales dans cette affaire seront entendues mercredi.

Toujours à La Haye, la Cour pénale internationale (CPI) a délivré un mandat d'arrêt à l'encontre de M. Poutine, l'accusant d'avoir organisé la déportation illégale d'enfants ukrainiens, ce qui constitue un crime de guerre.

Aucun de ces tribunaux ne peut toutefois juger les dirigeants russes, y compris M. Poutine, pour le crime d'"agression", défini comme une attaque d'un Etat par un autre en violation de la charte des Nations Unies.

Un groupe spécial de procureurs ukrainiens, européens, américains et de la CPI a donc été constitué à La Haye en vue de créer un tribunal spécial chargé de juger les hauts responsables russes.

L'Ukraine a également porté plainte devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) à Strasbourg concernant des violations présumées des droits humains par la Russie.

Enfin, l'Ukraine a également saisi la Cour permanente d'arbitrage (CPA) de La Haye et le Tribunal international du droit de la mer de Hambourg pour dénoncer les violations par la Russie du droit maritime international.

- La Russie s'y conformera-t-elle ? -

Il semble peu probable que Moscou se conforme à une décision d'une cour internationale. Ainsi, en mars 2022, la CIJ a ordonné à Moscou de mettre immédiatement fin à son invasion. La Russie ne s'est même pas présentée aux audiences dans cette affaire.

Cecily Rose, juriste et professeur-adjointe de droit international public à l'université de Leyde, estime que cette question est loin d'être un exercice académique.

"La Russie s'est parfois conformée, au moins partiellement, à une décision défavorable d'un tribunal international", a indiqué Mme Rose à l'AFP, citant un verdict de 2015 dans lequel Moscou a payé la moitié de l'amende qui lui avait été infligée.

"Cela montre qu'on ne peut pas supposer de manière cynique que le refus de se plier à des jugements est la régle", ajoute-t-elle. "La plupart du temps, les états se conforment aux sentences et aux jugements rendus par les cours et les tribunaux internationaux.

- Quel est l'intérêt de poursuivre la Russie ? -

Même si la Russie n'obtempère pas aux décisions prises par les cours internationales, Kiev et la plupart des experts juridiques estiment que la communauté internationale doit savoir imposer une limite.

"Certains pays ne respectent pas la loi, y compris la Russie. Cependant, il est toujours important de les interpeller et de porter plainte contre eux lorsqu'ils enfreignent la loi", estime Melanie O'Brien, professeur- adjointe à la faculté de droit de l'université d'Australie occidentale.

"Cette affaire montre que d'autres pays ne considèrent pas la conduite de la Russie comme acceptable, mais plutôt comme illégale", précise-t-elle à l'AFP.

Un arrêt de la CIJ contre la Russie serait un élément supplémentaire pour isoler Moscou et confirmer qu'elle a enfreint le droit international, ajoute-t-elle.

"Il s'agit également d'une reconnaissance importante pour les victimes de violations des droits de l'Homme et de crimes internationaux que ce qui leur est arrivé, à elles et à leurs proches, n'était pas légal".

Prouver que les actes de la Russie étaient contraires au droit international pourrait également être un élément clef dans de futures négociations de paix, notamment en ce qui concerne de potentielles réparations, fait remarquer Mme Rose.

- Combien de temps les poursuites prendront-elles ? -

Les rouages de la justice tournent lentement.

L'affaire du "génocide" devant la CIJ ne porte que sur la question de savoir si la Cour est compétente pour juger ce contentieux. La mise en place d'un tribunal spécial est politiquement sensible et prendra du temps.

"Ce n'est pas parce que Poutine refuse de se conformer à une décision aujourd'hui qu'il restera éternellement au pouvoir", estime Mme O'Brien. "A un moment donné, un changement de régime se produira et pourra conduire au respect du droit international.