Nids de poule soudainement comblés, façades repeintes, ronds-points fleuris: en moins de trois semaines, la capitale kényane Nairobi s'est mise sur son trente-et-un, désireuse d'offrir son meilleur visage aux yeux d'un visiteur qu'elle attend depuis six ans, Barack Obama.
Affalé dans sa brouette, Jeremiah Wekesa se redresse en vitesse. Casque de chantier orange vissé sur la tête, gilet fluo pour être épargné par le flot des voitures, mais pieds nus, il se dit ravi de l'arrivée du président américain.
"On plante. C'est bien qu'Obama nous rende visite. C'est un Kényan et cela fait si longtemps qu'il n'est pas venu".
Depuis trois semaines, le long de l'artère de 15 km qui mène de l'aéroport au centre-ville, des centaines de femmes et jeunes gens, la plupart du temps au chômage comme Jeremiah, renforcent les bas-côtés en les comblant de pierres, nettoient les talus, taillent les haies, plantent buissons et arbrisseaux. Le tout pour un salaire de 400 shillings par jour (3,50 euros).
Fêté en héros dans tout le pays lors de son élection à la Maison Blanche fin 2008, le président américain, dont le père était Kényan, avait visité la patrie de ses ancêtres à trois reprises avant son accession à la présidence. Mais il a boudé le pays depuis.
En cause, l'inculpation du président Uhuru Kenyatta, accusé de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI). Des poursuites désormais abandonnées.
La visite de Barack Obama - qui participe à un "Sommet mondial de l'Entrepreneuriat" qui commence le 24 juillet à Nairobi - prend donc une dimension d'événement national, à dix-huit mois de la fin de son second mandat.
Mais l'opération d'embellissement entreprise en son honneur dans la capitale - âprement débattue sur les réseaux sociaux - laisse les Kényans mi-fiers, mi-exaspérés.
"On se demande pourquoi il faut attendre un visiteur de marque", remarque un brin amer Douglas Mwangi, chauffeur de taxi.
Les travaux - d'un coût avoisinant les 45 millions de shillings (400.000 euros) selon les autorités locales - ont de plus été limités à l'itinéraire emprunté par le convoi présidentiel et à quelques bâtiments officiels.
- Mendiants indésirables -
Fraîchement repeint, le quartier général de l'armée arbore des couleurs pimpantes et des jardiniers fleurissent toujours les abords de State House, où se tiendra un dîner officiel en l'honneur d'Obama.
"C'est joli, mais ils devraient commencer par débarrasser le centre-ville de ses ordures", lance Edouard Muchugia, qui observe les progrès du chantier en attendant son bus.
"Ces améliorations, comme l'éclairage urbain ou le nettoyage de la ville, vont profiter à tous les résidents de la ville", fait valoir Leah Oyake, directrice de la division Environnement du comté de Nairobi. "Et les arbres et les buissons plantés vont faire office de piège à carbone" dans un centre embouteillé et pollué.
La capitale kényane, coeur économique de la région où les immeubles de bureau ou d'habitation surgissent de terre à un rythme impressionnant, n'a pas attendu la visite du président Obama pour se moderniser.
Depuis quelques années, des pistes de terre se sont couvertes de macadam, les ronds-points se sont multipliés et des lampadaires publics ont commencé à éclairer des quartiers autrefois voués à l'obscurité.
Souvent anarchique, ce développement a oublié les poches de pauvreté de la capitale, cernée de bidonvilles où vivent près de la moitié des 4 millions de Nairobiens. A Kibera, Mathare, les habitants vivent dans des masures de terre et de tôles, sans eau courante, ni tout à l'égoût.
De cette pauvreté crasse, Barack Obama ne devrait rien voir. D'autant que les quelque 8.000 mendiants du centre-ville ont été décrétés personae non gratae ces derniers jours.
Réfugiés sur un terrain vague entre un parking et un échangeur routier, Moses et ses copains, bouteilles de colle à sniffer en main, en ont gros sur le coeur.
"On se fait arrêter tous les jours. Avant, on pouvait aller en ville pour mendier, mais maintenant c'est trop risqué", confie Moses, 16 ans, le visage gris de poussière.
L'administration locale se défend de tout ostracisme. "Les familles des rues peuvent rester en ville", assure Christopher Khaemba, responsable des Affaires sociales. "Mais nous allons multiplier les interpellations des jeunes qui volent les passants".
Les agents municipaux "nous harcèlent déjà, alors qu'est-ce que ça va être quand Obama sera là ?", soupire Peter, un autre gamin des rues.