Hirondelle a pu les rencontrer dans leurs locaux, près de la porte de Bagnolet, à l'Est de Paris.
« Tout s'est débloqué après la visite à Kigali du secrétaire général de l'Élysée, Claude Géant, en novembre 2009 », raconte le colonel Eric Gosset, commandant de la section de recherche de la gendarmerie de Paris. « Ensuite, c'est allé très vite. Fin décembre 2009, décision a été prise à la direction générale de créer une section spécialisée, et en janvier 2010, deux enquêteurs ont pu se rendre au Rwanda avec des juges d'instruction. »
Un troisième enquêteur a rejoint le groupe en juin 2010, puis un quatrième début 2011. Mais cela ne suffit pas pour être au niveau des autres pôles européens. « Nous souhaiterions à terme pouvoir disposer de neuf personnes à plein temps. Nous avons demandé à doubler l'équipe et à y ajouter un analyste, capable de faire des liens entre les dossiers et de les mettre en perspective, chronologique ou relationnelle. »
« L'année 2010 a été pour nous une année de bascule, ajoute le colonel Gosset. Notre groupe est maintenant identifié et reconnu par Europol [l'agence de police européenne, ndlr]. Nous développons aussi des relations avec d'autres équipes spécialisées travaillant dans d'autres pays. » Contacté en 2010 par la Cour pénale internationale dans le cadre de la demande d'extradition vers La Haye de Callixte Mbarushimana, qui résidait en France, le groupe de recherche a progressivement mis en place « une procédure de routine » permettant de répondre aux demandes d'entraide du tribunal international.
Dans le passé, la section de recherche de la gendarmerie parisienne avait travaillé sur l'affaire Paul Touvier, premier Français condamné en 1994 pour crimes contre l'humanité, en tant que chef de la milice lyonnaise durant la Seconde Guerre mondiale. Elle s'était également intéressée à Aloïs Brunner, le dernier grand criminel de guerre nazi encore recherché, à John Demjanjuk, ancien garde de camp de concentration en instance de jugement à Munich, ou encore à l'affaire des « disparus du Beach de Brazzaville » (Congo), dossier en cours d'instruction devant le tribunal de Meaux, au Nord de Paris.
Mais c'est sur le Rwanda que ce nouveau groupe d'enquête spécialisé concentre depuis plus d'un an ses efforts. « Nous y avons effectué un déplacement tous les deux mois en 2010, précise l'enquêteur en chef [qui préfère rester anonyme, ndlr], et la fréquence s'accélère au rythme d'un voyage tous les mois en 2011. » « L'idée, complète un deuxième enquêteur, c'est d'arriver quatre ou cinq jours avant les magistrats pour débroussailler, car le travail préliminaire n'est pas fait lorsque nous arrivons au Rwanda. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, mais le GFTU [Unité de recherche des fugitifs du génocide rwandais, ndlr] est sous dimensionné, et il doit également répondre aux demandes des enquêteurs belges, canadiens, norvégiens... »
« Au Rwanda, les gens sont souvent plus disponibles qu'en France, relève l'enquêteur. Mais du fait du niveau de vie, il est plus compliqué de faire perdre une journée de travail à un témoin. » Les pratiques de rémunération, par des per diem lorsqu'ils se rendent au Tribunal d'Arusha ou sous forme de dédommagements en espèce ou en nature par certaines équipes d'enquête venues de l'étranger, compliquent le travail sur le terrain. « Nous ne comprenions pas au début la métaphore du ‘Fanta', raconte un gendarme. Quand quelqu'un demande un Fanta à la fin de sa déposition, c'est qu'il attend une compensation... un kilo de sucre, du lait, une rame de papier. Certains se fâchent si on ne donne rien ! »
Aussi, « des témoins professionnels finissent par constituer leur propre histoire, qui a été entendue par tous les groupes d'enquête. Leur niveau de vie est supérieur à celui de leurs voisins. » Pour contrer ce phénomène, les enquêteurs et les juges français organisent des confrontations, recoupent les dépositions. Mais les témoignages sont essentiels. Beaucoup de registres de naissance ayant disparu, on ne peut comptabiliser les morts. « D'une façon générale, les preuves matérielles sont quasi-inexistantes. Ce type de situation ne peut se régler, estime un enquêteur, que par des transports sur le terrain. C'est un travail de fourmi. Ce n'est pas un, mais une multitude de meurtres que l'on doit reconstituer 17 ans après. »
Auprès du procureur général de Kigali comme de l'ambassade de France à Kigali, la section de recherche de la gendarmerie française indique avoir rencontré « une volonté très claire de [lui] faciliter la tâche ». Les dossiers d'instruction « avancent enfin ». Mais cela va-t-il durer ? « Tout était bloqué auparavant par l'enquête Bruguière [sur l'attentat du 6 Avril 1994, ndlr], rappelle le responsable du groupe. En ce moment nous profitons de l'opportunité de pouvoir travailler au Rwanda, mais nous sommes conscients que tout peut de nouveau changer d'un jour à l'autre. »
La justice française doit aussi accélérer le pas, pour ne pas dépasser des délais raisonnables en matière de détention provisoire. Le capitaine Pascal Simbikangwa a ainsi été arrêté à Mayotte en octobre 2008, il y a plus de deux ans. Les magistrats français en visite à Kigali s'intéressaient déjà à son rôle présumé dans le génocide de 1994, avait confié en mai 2010 à l'agence Hirondelle le porte-parole du parquet général du Rwanda. Deux autres Rwandais, Octavien Ngenzi et Tito Barahira sont en détention provisoire en France.
Deux de ces dossiers pourraient parvenir les premiers au stade du procès. « Si une instruction était close rapidement, le fait qu'un accusé soit en détention accélère la mise en jugement, analyse Catherine Gambette, avocate pour la Fédération internationale des droits de l'homme dans ces dossiers. Toutefois, les délais habituels d'une Cour d'assises, avec notamment la désignation des jurés, ne permettent pas de penser qu'un procès puisse avoir lieu avant la mi-2012. »
FP/GF
© Agence Hirondelle