L'ex-président tchadien Habré jugé au Sénégal, un procès "historique"

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L'ex-président tchadien Hissène Habré est jugé à partir de lundi au Sénégal lors d'un procès "historique": pour la première fois un ancien chef d'Etat africain devra répondre de ses actes devant un tribunal d'un autre pays d'Afrique.

Hissène Habré, 72 ans, en détention depuis deux ans au Sénégal où il a trouvé refuge après avoir été renversé par l'actuel président Idriss Deby Itno, est poursuivi pour "crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture" sous son régime (1982-1990).

Il sera jugé par les Chambres africaines extraordinaires (CAE), tribunal spécial créé par l'Union africaine (UA) en vertu d'un accord avec le Sénégal, comprenant des magistrats sénégalais et africains, dont le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, qui présidera les débats.

Ce procès inédit doit aussi permettre au continent, où les griefs se multiplient contre la Cour pénale internationale (CPI) siégeant à La Haye, accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains, de montrer l'exemple, soulignent des organisations de défense des droits de l'Homme.

"C'est la première fois au monde - pas seulement en Afrique - que les tribunaux d'un pays, le Sénégal, jugent l'ancien président d'un autre pays, le Tchad, pour des violations présumées des droits de l'Homme", a déclaré à l'AFP Reed Brody, cheville ouvrière de cette procédure au sein de Human Rights Watch (HRW).

Mais l'unique accusé "ne reconnaît pas cette juridiction, ni dans sa légalité, ni dans sa légitimité" et "a décidé de renoncer à participer à ce procès", a indiqué jeudi à l'AFP un de ses avocats, Me Ibrahima Diawara, en précisant: "Comparaître dans un procès est un droit, pas une obligation".

Selon lui, Hissène Habré - qui "va mieux", après une attaque cardiaque en juin - n'entend pas comparaître et a demandé à ses avocats de ne pas assister non plus aux audiences.

En vue de ce procès, le Sénégal a modifié ses lois pour adopter la compétence universelle permettant de juger un étranger pour des actes commis hors de son territoire. Le Tchad a de son côté autorisé les magistrats des CAE à enquêter sur place.

- 'Procès pour l'Afrique' -

Depuis l'ouverture de l'instruction, en juillet 2013, "il y a eu quatre commissions rogatoires ayant permis d'entendre presque 2.500 victimes et une soixantaine de témoins", a précisé cette semaine le procureur général des CAE, Mbacké Fall.

Plus de 4.000 victimes "directes ou indirectes" se sont constituées parties civiles. Le tribunal spécial a prévu d'entendre 100 témoins. Les audiences seront "filmées et enregistrées" pour être diffusées en différé et "permettre à un maximum de personnes de suivre" le procès, d'après Mbacké Fall.

Seule une sélection des débats sera montrée par la télévision publique sénégalaise RTS, "le diffuseur hôte", qui mettra gratuitement un signal à la disposition des médias, a-t-il précisé.

Les audiences sont prévues du 20 juillet au 22 octobre. Si l'accusé est reconnu coupable, s'ouvrira une autre phase durant laquelle seront examinées d'éventuelles demandes de réparation au civil.

En cas de condamnation, Hissène Habré, qui encourt entre 30 ans de prison ferme et les travaux forcés à perpétuité, pourra purger sa peine au Sénégal ou dans un autre pays membre de l'UA, mais il n'est prévu "aucune mesure d'assouplissement de la peine", ni grâce, ni amnistie, a précisé M. Fall.

Le budget du tribunal spécial "avoisine les 6 milliards de FCFA" (près de 9,15 millions d'euros), financés par plusieurs bailleurs: France, Belgique, Pays-Bas, Etats-Unis, UA, Union européenne, Tchad, a-t-il ajouté.

Pour Assane Dioma Ndiaye, un avocat des parties civiles, ce procès sera "historique". "Il ne pouvait pas y avoir d'impunité dans cette affaire", a dit Me Ndiaye, soulignant les "attentes grandissimes des victimes".

Parmi elles, Clément Abaïfouta, présent à Dakar, espère comprendre enfin les motifs de son arrestation il y a 30 ans et de ses quatre effroyables années de détention.

"Je veux poser cette question à Habré: pour quelle raison ai-je été arrêté? Pour quelle raison ai-je souffert?", a expliqué à l'AFP M. Abaïfouta, président de l'Association des victimes contre la répression politique au Tchad (AVCRP).

Lors d'une visite début juillet à Conakry, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a invité les Africains à "donner la priorité aux victimes", qui se comptent souvent par "centaines ou milliers", plutôt que de "protéger les auteurs des crimes".

"C'est l'Afrique qui est venue à la CPI, ce n'est pas la CPI qui est allée en Afrique", a-t-elle dit, en réaction aux critiques contre cette juridiction internationale, rappelant que la plupart des enquêtes ouvertes sur le continent l'avaient été à la demande des Etats concernés.

Pour Alioune Tine, directeur d'Amnesty pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre, pouvoir faire "juger un président de la République par un tribunal africain pour crimes de guerre, contre l'humanité" marquera "le début d'une longue marche" du continent vers sa "souveraineté judiciaire".