Au Tchad, les plaies des années Habré sont toujours ouvertes

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Un quart de siècle après le renversement de Hissène Habré, les Tchadiens ne cachent pas leur satisfaction de voir leur ancien président enfin jugé, afin de tourner une page terrible de leur histoire.

Évoquant l'ouverture du procès lundi à Dakar pour "crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture", Martin Djedouboum, enseignant à N'Djamena, souhaite que "ça se passe dans de bonnes conditions pour que tout soit équitable, parce qu'en ce moment les victimes ne sont pas tranquilles".

Dans la capitale tchadienne, certains baissent encore la voix en passant devant les anciens locaux de la sinistre et redoutée Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), la police politique de Habré, haut-lieu de torture.

Ce procès, renchérit Roger Léotard, fonctionnaire, "c'est un ouf de soulagement pour les victimes qui attendent depuis 25 ans que justice leur soit rendue".

L'exigence de justice face aux atrocités commises sous Hissène Habré (1982-1990) revient souvent dans les conversations.

"Le procès est vraiment attendu par le peuple tchadien. Je crois que c'est judicieux que les victimes de ce dictateur puissent bénéficier de la justice", dit ainsi Hisseine Youssouf, commerçant.

Certains attendent aussi que Hissène Habré ait le courage de s'expliquer à la barre, même si ses avocats ont fait savoir que leur client ne parlerait pas au tribunal.

"Aujourd'hui, l'Histoire l'a rattrapé. On verra ce qu'il va dire à la barre, donc il faut qu'il soit courageux pour nous raconter tout ce qui s'est passé", demande Issaka Ramat, militant politique.

Car 25 ans après la chute de Habré, renversé par l'actuel président Idriss Déby Itno et malgré les attentats des islamistes nigérians de Boko Haram qui frappent désormais le Tchad, le souvenir de ces années noires hante encore les mémoires.

- La terreur par la torture -

Les récits de ceux qui sont sortis vivants des geôles de la DDS sont effroyables et certains seront présents au tribunal, face au chef de leurs bourreaux.

Plus de 4.000 victimes sont représentées au procès de Dakar.

Parmi elles, Souleymane Guengueng, agent comptable de la Commission du bassin du lac Tchad, qui a raconté à l'AFP son calvaire à la DDS.

"Ils m'ont arrêté le 3 août 1988. Je ne sortirai que le 1er décembre 1990, à l'arrivée de Déby", se rappelle-t-il.

"Ils sont allés m'arrêter dans mon bureau. Mais qui va vous faire un procès? Dès qu'on vous arrête, c'est fini pour vous. Il n'y a même pas de confrontation et on vous met en prison, comme ça leur plaît".

Il a été arrêté alors qu'il sortait de l'hôpital pour une opération et devait y retourner le lendemain. A la DDS, "ils m'ont laissé pour mort, j'étais dans la cellule avec aucun soin, même pas de nourriture".

"Tous les jours tu pouvais compter trois, quatre morts, c'était horrible, parce qu'il n'y avait pas de soins", ajoute M. Guengueng: "La torture était dans tous les sens, torture morale, physique...".

Abdourahmane Gueye, l'unique partie civile sénégalaise, fournisseur d'or et de bijoux aux militaires français déployés au Tchad, a lui passé sept mois en détention en 1987, sous l'accusation d'être un "espion de Kadhafi", le dirigeant libyen de l'époque.

"Quand on m'a emmené dans une cellule, cette cellule c'était l'enfer": quarante personnes entassées dans une pièce sans lumière. "J'ai souffert dans cette cellule et j'ai vu des gens souffrir dans cette cellule, des gens à qui on a fait du mal, des gens mourir dans la cellule", se remémore M. Gueye.

Désormais, M. Guengueng veut croiser le regard de Hissène Habré au tribunal. "Si vraiment la loi le permet (au juge d'obliger Habré à comparaître, NDLR), il faut qu'il soit présent. Même s'il ne parle pas, il faut qu'il écoute ce que nous avons à dire et qu'il nous voie de ses propres yeux".

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