La veuve du président Habyarimana, Agathe Kanziga, a déposé la première une plainte contre la société France Télévisions et la société de production Tony Comiti. Elle a été rejointe par les deux autres Rwandais interviewés par le réalisateur Manolo d'Arthuis, dans le cadre d'un documentaire télévisé produit pour l'émission La Grande Traque.
"Notre objectif n'est pas de faire condamner ou d'empêcher la diffusion de ce documentaire, assure l'avocat d'Agathe Habyarimana, Me Philippe Meilhac. Tout ce que l'on demande aujourd'hui c'est de le visionner, afin de pouvoir voir s'il y a violation ou non de la présomption d'innocence. Malgré plusieurs demandes, on nous le refuse."
"Il nous a fallu six mois d'enquête pour réaliser ce documentaire et filmer, bien sûr avec leur accord, trois présumés génocidaires vivant sur le sol français", explique Manolo d'Arthuys.
Agathe Habyarimana a été filmée "en présence de son avocat et de deux membres de sa famille", tandis que le médecin Charles Twagira était "chez lui et sans avocat", et l'ex-officier de l'armée rwandaise Marcel Bivugabagabo "dans un presbytère et sans avocat", précise le réalisateur.
"J'ai reçu M. d'Arthuys il y a presque un an, je lui ai permis de voir ma cliente, poursuit Me Meilhac. Ce qui m'inquiète profondément c'est que l'on est sur un sujet grave, qu'en terme de procédure on est au tout début, et je suis un peu surpris de la façon dont on présente l'émission. On a l'impression que c'est totalement à charge."
Un communiqué de France Télévisions, cité par les plaignants, annonce en effet : "Seize ans après les faits, la justice rwandaise et la justice internationale ont jugé et condamné de nombreux responsables. Mais combien sont encore en liberté ? Alors que certains se cachent en Afrique, d'autres vivent en toute impunité en Europe, notamment en France où Manolo d'Arthuys les a retrouvés."
Un autre communiqué présente l'émission La Grande Traque, composée d'un documentaire et d'un débat animé par le journaliste Nicolas Poincaré, comme "une collection de cinq documentaires d'investigation consacrés aux hommes qui sont, ou qui ont été, les plus recherchés de la planète".
Sur le plateau de l'émission du 28 juin, quatre invités sont à ce jour programmés pour le débat : James Kabale, l'ambassadeur du Rwanda ; Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) ; Filip Reyntjens, professeur de droit à l'université d'Anvers et une journaliste, Maria Malagardis.
Dans leurs référés, les trois plaignants font chacun valoir qu'aucun d'entre eux ne fait actuellement l'objet d'une mise en examen devant la justice française ou d'une accusation devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Seules des procédures préliminaires sont engagées.
La plus célèbre d'entre eux, Agathe Habyarimana, est sous le coup d'une demande d'extradition émise par le Rwanda, qui sera entendue le 29 juin à Paris. Elle fait aussi l'objet d'une information judiciaire ouverte en mars 2008, à la suite d'une plainte du CPCR, dans laquelle elle est entendue comme témoin simple.
L'ancien lieutenant-colonel Marcel Bivugabagabo a également fait l'objet d'une demande d'extradition rwandaise, rejetée par le tribunal de Toulouse en 2008. La même année, le CPCR a déposé une plainte contre l'ex-officier. Celui-ci indique, dans sa requête en référé, n'avoir depuis "jamais été entendu par un enquêteur".
L'agence Hirondelle a toutefois appris, en janvier 2010, que Marcel Bivugabagabo faisait l'objet d'une "enquête préliminaire" lors de la visite au Rwanda de deux juges d'instruction français, Nicolas Aubertin et Brigitte Jolivet.
Charles Twagira a pour sa part obtenu en 2007 le statut de réfugié politique en France. Il fait lui aussi l'objet d'une plainte du CPCR, déposée devant le tribunal de Rouen et transmise début 2010 au tribunal de Paris, où une information judiciaire a été ouverte. Il exerce la profession de médecin.
Programmée dans un premier temps le 31 mai, la diffusion de ce documentaire a été reportée au 28 juin, l'arrestation le 26 mai de l'ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, Ratko Mladic, ayant alors fait l'objet d'un numéro spécial du magazine La Grande Traque.
Les trois plaintes en référé déposées devant le tribunal de grande instance de Paris seront entendues de façon groupée, lundi 20 juin.
Dix-huit dossiers judiciaires concernant des présumés génocidaires rwandais résidant sur le sol français sont actuellement instruits devant le tribunal de grande instance de Paris.
FP/GF
© Agence Hirondelle