Les burundais sont appelés aux urnes ce mardi 21 juillet pour des élections présidentielles dans une ambiance de crise. L’annonce de la candidature à un troisième mandat de l’actuel président Pierre Nkurunziza a déclenché depuis presque trois mois un cycle de manifestations, de représailles et de violence.
Christine Deslaurier est historienne à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) en France, et spécialiste du Burundi. Elle répond aux questions de JusticeInfo.net.
JusticeInfo.net : A votre avis, pourquoi le gouvernement burundais persiste avec ces élections présidentielles en dépit des demandes de l’extérieur et de l’intérieur pour les repousser ?
Christine Deslaurier : Je pense qu’il y a plusieurs raisons, la première étant que le gouvernement et les appuis au Président Nkurunziza sont sûrs de leur fait et de leur bon droit, parce qu’ils peuvent se dire qu’ils ont suivi plus ou moins les instructions en repoussant par deux fois les élections présidentielles. Et enfin, les chances pour que le candidat Président Nkurunziza soit réélu sont maximales, donc il n’y a aucune raison du côté des personnes qui le soutiennent à l’heure actuelle de changer leur fusil d’épaule, d’autant plus que les pressions de l’East African Community ou de l’Union Africaine ne sont pas si impressionnantes que ça.
JusticeInfo.net : Est-ce qu’il y d’autres candidats, à part Nkurunziza ?
CD : Il y en avait un certain nombre d’autres. Au tout début ils étaient huit. Trois viennent officiellement de se désengager. Un autre, Agathon Rwasa, vient de dire qu’il ne participait pas, tout en n'envoyant pas une lettre à la Céni (commission électorale) comme l'ont fait les autres pour s’exclure du vote. Donc si je compte, il en reste quatre en lice : le candidat Nkurunziza, le candidat de l’UPRONA reconnue et deux candidats moins influents.
JusticeInfo.net : Pensez-vous qu’il y a des conditions minimales actuellement pour des élections valables ?
CD : Je pense que la condition minimale aurait été qu’il y ait une opposition réelle qui se manifeste, c’est-à-dire des partis qui puissent faire leur campagne ou, s’ils ne le pouvaient pas faire, souhaitaient le faire en tout cas. Il existe beaucoup d’élections dans le monde où il n’y a pas d’observateurs, donc je ne pense pas que ce soit ça la clé du problème. La clé du problème, c’est que des élections monocolores, on sait à peu près leurs résultats d’avance, donc ce n’est jamais très enthousiasmant, en tout cas sur le mode démocratique.
JusticeInfo.net : Et qu’en est-il de la sécurité, des réfugiés, la fermeture des médias et du désarmement aussi de la jeunesse du parti CNDD-FDD ?
CD : Il y a une véritable guerre des chiffres qui se joue avec les proches du pouvoir qui affirment que les réfugiés sont en train de rentrer, et au contraire une série d’informations, par exemple de Médecins sans Frontières ou du Haut commissariat aux réfugiés qui indiquent qu’en réalité on n’est pas du tout dans une vague de retour, voire qu'on serait peut-être même dans l’aggravation des départs vers les camps. Donc la question des réfugiés n’est pas du tout réglée. Je pense qu’il va probablement y avoir des flux qui vont se modifier après les élections et après l’investiture du Président. A mon avis un certain nombre de réfugiés attendent de voir ce qui va se passer, appréhendent l'issue du processus, et donc préfèrent regarder de loin ce qui risque de se passer, plutôt que d’être pris éventuellement dans un conflit qui serait plus violent. Donc ça c’est pour la question des réfugiés, qui ne me semble pour l’instant pas du tout en passe d’être normalisée. (…)
En ce qui concerne les médias, c’est le blocage total, puisqu'après leur fermeture, après la destruction de la plupart des médias réellement indépendants il y a donc deux mois, la justice burundaise a expliqué qu’elle ne pouvait pas laisser accéder aux locaux tant que les enquêtes ne seront pas terminées. Or, on ne voit pour l’instant pas beaucoup d’enquêtes avancer ni d’investigations qui se déroulent, donc je pense que la situation des médias risque de rester comme ça pendant assez longtemps, d’autant plus que cela coûte assez cher de remonter des médias, au point de vue matériel notamment (…).
Et enfin la dernière question concerne la sécurité. Mais en fait la sécurité va avec le désarmement. La grande question est de savoir qui peut désarmer, avec une problématique du parti CNDD-FDD, dont la ligue de jeunesse est accusée d’avoir été en tout cas partiellement armée, et qui se refuse à admettre cette thèse tout en affirmant avoir désarmé! (…) Maintenant le régime prend acte du fait que les attaques à la grenade de positions policières sont assez fréquentes, surtout à Bujumbura, et retourne l’argument du désarmement à l'encontre des manifestants (…).
JusticeInfo.net : Comment voyez-vous l’avenir du Burundi après ces élections ?
CD : Vu la situation de blocage complet dans laquelle se trouve pays, vu les tensions persistantes -- qui ne datent quand même pas de l’annonce de la candidature du président, le pays est profondément divisé depuis plusieurs années maintenant (…) --, je pense que dans une situation comme ça profondément tendue et crispée, il y a peu de chances que le pays vive dans une paix totale dans les prochains mois. (…) La pression va continuer, parce que malgré tout le point de départ de toutes ces manifestations et cette insécurité, c’est précisément l’annonce de la candidature (de Nkurunziza). Donc, s’il est élu, le mandat ne va pas être tout d’un coup légitimé par tous ceux et celles qui depuis des mois ou des années estiment qu’il n’a plus de légitimité à diriger le pays (…).
JusticeInfo.net : Qu’en est-il des questions de justice pour les crimes du passé ?
CD : Je pense comme beaucoup d’autres analystes ou chercheurs que la question de la justice est probablement parmi celles qui créent les plus grandes tensions. Comme le pays n’a toujours pas rendu justice pour les dizaines d’années de difficultés, d’évènements et de crises, comme on dit de manière euphémique au Burundi -- qui sont en fait des massacres importants, voire de type génocidaire --, tant que ce pays ne connaîtra pas une justice véritable, il ne s’en sortira pas, hélas (…).