Lors de l'audience du 4 septembre visant à fixer une peine contre Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, l'accusation a demandé au moins 22 ans de prison. Al Hassan a été reconnu coupable par la Cour pénale internationale (CPI) en juin de cette année de huit chefs d'accusation de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, et acquitté de six chefs d'accusation pour son rôle en tant que chef de la police islamique lors de l'occupation de la ville de Tombouctou, dans le nord du Mali, en 2012-2013, par Ansar Dine, une franchise locale d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Les représentants des victimes ont souligné à quel point leurs clients étaient choqués et déçus par l'acquittement d'Al Hassan pour plusieurs chefs d'accusation. La défense, elle, a passé du temps à montrer les ambiguïtés d'un jugement de première instance qui comprenait de multiples opinions dissidentes qui se chevauchaient, dans le cadre d'un jugement longuement retardé par un panel de trois juges qui a depuis été recomposé pour remplacer le juge président.
L'affaire porte sur des questions nouvelles pour la CPI, qui n'ont jamais été traitées auparavant par une cour internationale. Il est d'ores et déjà évident que la Chambre d'appel aura fort à faire pour dénouer les multiples appels prévus par toutes les parties.
Tombouctou avait été reprise par des extrémistes islamiques dans le cadre d'un mini-califat de courte durée. Une forme stricte de charia avait été imposée, avec des peines sévères pour la consommation d'alcool, pour les femmes portant des vêtements inappropriés, et pour les hommes en cas de viol. La brigade des mœurs (la Hisbah) et la police islamique étaient chargées de l'application de la loi. Le substitut du procureur, Mame Mandiaye Niang, a toutefois tenu à préciser à la Cour qu'il ne s'agissait pas d'un procès contre l'islam, mais que c'était la population de Tombouctou, principalement musulmane, qui était la victime dans cette affaire.
Le droit international humanitaire s'applique-t-il ?
Al Hassan était présent au tribunal, derrière son équipe de défense, vêtu d'une robe traditionnelle blanche comme la neige, enveloppant son visage, et portant une montre dorée. L’image de l'homme Al Hassan, de ses actions et de ses motivations, dépeinte par l'accusation et par la défense est parfaitement contraire. Al Hassan a joué un rôle « central », a déclaré le procureur Gilles Dutertre, « il était plein d'ambition personnelle ». Il n'était ni un soldat ni un politicien, a déclaré Melinda Taylor, l'avocate de la défense d'Al Hassan, à la Cour. Son comportement a été façonné et contraint par le contexte : il est resté, sous l'occupation islamique à Tombouctou. Il s'est efforcé de faire le bien. « Il a utilisé sa position pour aider la population locale. »
Selon Katerine Fortin, spécialiste du droit international humanitaire à l'université d'Utrecht, aux Pays-Bas, c'est « vraiment la première fois » qu'un tribunal pénal international est invité à étudier « avec une telle ampleur de charges, le phénomène de la gouvernance rebelle », qui est une question internationale de plus en plus importante. L'année dernière, le Comité international de la Croix-Rouge a constaté que « 195 millions de civils vivent actuellement sous le contrôle de groupes armés ». Dans quelle mesure le droit international humanitaire s'applique-t-il dans ces contextes ? Fortin note que « l'on dit parfois que la meilleure défense contre une allégation de violation du droit international humanitaire est de soutenir qu'il ne s'applique pas ».
Les juges de la CPI n'aident pas
« Ce qui est controversé ici, poursuit-elle, c'est que l'ensemble de la chambre a adopté une approche très générale pour évaluer l'intensité des conflits et déterminer si le droit international s'applique, sans vraiment expliquer la base juridique sur laquelle elle s'appuie. »
« De nombreux conflits modernes sont très fragmentés et les parties en présence sont multiples. La plupart des gens disent que le droit devrait changer », reconnaît Fortin. Mais cette chambre de première instance ne montre pas comment elle est parvenue à ses conclusions, dit-elle, malgré près de 1000 pages de jugement et d'opinions jointes. « Elle ne l'a pas fait de manière particulièrement prudente. »
Les universitaires se pencheront sur ce jugement pendant de nombreuses années, car il traite de nombreuses questions importantes que la CPI n'a jamais abordées auparavant. Sous l'occupation, comment la police islamique et le tribunal islamique fonctionnaient-ils ? Ont-ils prononcé des sentences comme le ferait un tribunal régulièrement constitué ? Ou bien ont-ils détenu illégalement des personnes, ce qui constitue un crime dans un conflit armé non international ? « Cette affaire est particulièrement fascinante. En effet, le tribunal a dû répondre à toutes ces questions, qui sont très difficiles », explique Fortin.
La déclaration controversée d'Al Hassan en prison
Certains des points clés sur lesquels l'accusation et la défense sont complètement divisées ne faisaient, en fait, pas partie des allégations contre Al Hassan, car ils découlaient de la période où il avait été sous la garde des services de sécurité maliens, avant qu'un mandat d'arrêt ne soit délivré à son encontre par La Haye. C’est un « rescapé de la torture », a déclaré son avocate Taylor. Le procureur Dutertre a, quant à lui, déclaré que les juges devraient laisser de côté son prétendu syndrome de stress post-traumatique, car il n'y a aucun lien avec l'affaire dont il est accusé devant la CPI.
La déclaration d'Al Hassan à la CPI alors qu'il était en prison est « largement invoquée dans le jugement », souligne Fortin. Mais « l'allégation selon laquelle Al Hassan a été torturé alors qu'il était détenu par les autorités maliennes et que, pendant cette période, le procureur de la CPI lui rendait visite en prison, n'est que très peu prise en compte », note-t-elle.
Une seule question d'éclaircissement a été posée par les juges. La présidente Kimberly Prost s'est interrogée sur les propos de Dutertre selon lesquels « nous ne voyons aucune trace de coopération » de la part de l'accusé et qu'Al Hassan « s'est systématiquement opposé à la procédure ». N'a-t-il pas fait une longue déclaration à la CPI alors qu'il se trouvait dans la prison malienne ? a demandé Prost. Vous devriez accorder « peu de poids » à cette interview, a répondu Dutertre, car il n'y a pas eu d'autre coopération. Taylor a toutefois souligné qu'à ce moment-là, Al Hassan ne faisait l'objet d'aucun mandat d'arrêt. Il s'agissait donc d'un exemple de pure coopération car « il n'y avait pas de contrepartie » pour parler à la CPI. Son client « ne peut pas être pénalisé pour avoir utilisé ses droits statutaires » plus tard en se taisant une fois qu'il y avait un mandat d'arrêt.
Les deux parties sont revenues sur la question de l'importance du rôle joué par Al Hassan. Le procureur a de nouveau souligné la preuve vidéo de l'accusé avec un fouet, administrant plus de 60 coups de fouet en public (il y a un différend entre l'accusation et la défense à ce sujet, mais cela figure dans le jugement) : « Il ne se contente pas d'obéir aux ordres. Il joue un rôle de premier plan. » Ou était-il tel que la défense l'a dépeint ? « Une petite sardine » qui, en tant que « traducteur, aidait à traduire les choses parce qu'il était en fait un habitant de la ville. Il ne faisait pas partie de tout cela. Il ne faisait pas partie à l'origine de ces groupes armés qui n'étaient pas originaires de la ville », explique Fortin. « La défense a toujours soutenu que son lien avec ces crimes était tout à fait accessoire. »
Le jugement controversé sur la persécution de genre
Les représentants légaux des victimes se sont montrés très préoccupés par le fait que la persécution fondée sur le genre ne figure pas parmi les accusations retenues. Le jugement a suscité la « stupéfaction », a déclaré Fidel Nsita Luvengika, l'un des représentants légaux communs des victimes. Ayant fait confiance au tribunal et à la procédure, les victimes ont vu dans la décision des juges un acquittement pour certains des crimes les plus traumatisants sur lesquels les personnes avaient témoigné.
La persécution fondée sur le genre est très susceptible de faire l'objet d'un appel, affirme Fortin. « Ces groupes [armés] établissaient des règles qui avaient un effet très important sur la vie quotidienne à Tombouctou », note-t-elle. « Il s'agit d'un impact incontesté et extrêmement grave sur les femmes, à la fois en termes de tenue vestimentaire, de relations sexuelles, de mariage et de participation à la vie publique ». Et « on se retrouve dans cette situation étrange », note-t-elle, où la persécution, en tant que crime pour motifs religieux, est acceptée par tous les juges, mais où la persécution fondée sur le genre ne recueille pas la majorité, pour des raisons différentes.
« Il est presque certain qu'il y aura un appel », convient Kyra Wygard, du Centre de droit public de Louvain, qui s'intéresse aux juges et à leur pratique dans les tribunaux pénaux internationaux. « Alors qu'il n'est pas rare que les juges émettent des opinions séparées ou dissidentes – tant à la CPI que dans d'autres tribunaux internationaux tels que la Cour internationale de justice – les opinions émises dans le jugement Al Hassan semblent mettre en évidence des désaccords importants au sein de la chambre. Les trois juges ont notamment émis des opinions 'partiellement concordantes, partiellement dissidentes', révélant des désaccords sur la plupart des points ». Par ailleurs, Wygard souligne que ce jugement est « sans précédent » dans la mesure où il précise quels juges ont voté en faveur ou en désaccord sur des points spécifiques. « Je pense que c'est une première dans l'histoire de la CPI. »
En outre, « le fait que les trois opinions soient qualifiées de ‘partiellement concordantes, partiellement dissidentes’ est en soi remarquable. En règle générale, dans le jugement d’une chambre de première instance, on s'attend à ce qu'il y ait soit une opinion concordante, soit une opinion dissidente, et non un mélange des deux. Bien que cela ne soit pas interdit par la procédure, ces facteurs – auxquels s’ajoutent un retard de près de six mois et de multiples changements dans la composition de la chambre depuis juin – indiquent des difficultés importantes au sein de cette chambre, également au niveau de la procédure, ce qui entraînera probablement un appel ».
Surenchérir sur la peine
L'accusation a retenu chacun des chefs d'accusation du jugement, réclamant 20 ans pour la persécution, 20 ans pour la torture et, globalement, un minimum de 22 ans. La défense a plaidé pour « une peine réduite, proportionnelle à sa situation ». Taylor a passé en revue toutes les réquisitions sur la peine par le procureur de la CPI au fil des ans, et montré qu'« ils ont l'habitude de surenchérir », en demandant beaucoup plus d'années que ce que les juges estiment approprié.
Les représentants des victimes n'ont pas relayé de demandes spécifiques pour le nombre d'années de prison, à l'exception du commentaire d'une victime selon lequel « il méritait la prison à vie ». Ils ont plutôt fait part de leur « étonnement », de leur « colère » et de leur « sentiment incrédule d'incompréhension », en particulier de la part des femmes, sur le fait que les accusations liées au genre n'avaient pas été prouvées. Les victimes ont souligné que « les conséquences ne se sont pas arrêtées à la génération qui a vécu ces événements ».