Le cas de Julio Pacheco avait suscité l'espoir pour de nombreuses victimes du franquisme, mais la justice espagnole a classé la première et seule affaire de tortures sous le régime de Franco pour laquelle une enquête avait été ouverte.
La juge Ana María Iguácel a décidé de "classer le dossier" sans suites dans une ordonnance rendue le 31 juillet dernier, et que l'AFP a consultée mardi, en vertu de la prescription des faits et de la loi d'amnistie de 1977.
Julio Pacheco, 68 ans, avait été entendu par la juge en septembre 2023, une audition inédite puisque jusqu'ici toutes les tentatives des victimes de la dictature pour faire ouvrir une enquête avaient échoué: contrairement à de nombreux autres magistrats dans d'autres cas, la juge avait en effet admis début 2023 la plainte de cet ancien imprimeur visant ses quatre tortionnaires présumés en raison de "la possible existence" de "crimes contre l'humanité et tortures" dans le dossier.
Lors de son audition à huis clos était présent un membre du nouveau parquet spécialisé dans les droits humains et la mémoire démocratique, créé récemment par le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez afin de réhabiliter les victimes du franquisme.
Mais pour la juge, la "jurisprudence n'a pas changé après la promulgation" de cette loi.
Joint par l'AFP, Julio Pacheco s'est dit "très en colère", même s'il était conscient des "faibles possibilités" que son dossier connaisse une suite judiciaire. Annonçant avoir déjà fait appel de la décision, il a assuré qu'il épuiserait "tous les recours possibles".
Amnesty International a de son côté promis dans un communiqué de "continuer à se battre pour briser le mur de l'impunité, pour qu'il y ait des enquêtes, et que soient jugés les crimes contre l'humanité commis pendant le franquisme".
Membre d'une organisation étudiante antifranquiste, Julio Pacheco avait 19 ans quand il avait été arrêté à Madrid par la police secrète en août 1975, trois mois avant la mort du "Caudillo" qui dirigeait alors le pays d'une main de fer depuis sa victoire dans la Guerre civile (1936-1939).
Torturé pendant plusieurs jours, selon ton témoignage, il avait été ensuite envoyé en prison, accusé de terrorisme.
- "Billy el Niño" -
Jusqu'ici, malgré les demandes insistantes des Nations unies, la justice espagnole a stoppé net toutes les tentatives des victimes de la dictature en invoquant la prescription des faits mais surtout la loi d'amnistie de 1977.
Ce texte, pilier de la transition vers la démocratie après la mort de Franco en 1975, empêche de poursuivre tout délit politique commis durant la dictature par des opposants, mais aussi par "les fonctionnaires et agents de maintien de l'ordre public".
Le célèbre magistrat Baltasar Garzon avait été lui-même poursuivi, et finalement acquitté, pour avoir tenté d'ouvrir une enquête sur les crimes du franquisme.
Au grand désespoir des victimes, des tortionnaires sont morts et ne pourront jamais être poursuivis, comme un policier surnommé "Billy el Niño" ("Billy the Kid") en raison de son habitude de faire tourner son pistolet comme un cow-boy, décédé en 2020.
L'épouse de Julio Pacheco elle-même avait accusé ce policier de tortures. Arrêtée comme son époux en août 1975, sa plainte avait été rejetée mais elle avait été entendue en septembre dernier par la juge en qualité de témoin.
"Ce que l'on a réussi, c'est d'être entendus dans un tribunal", a reconnu Julio Pacheco mardi. "C'était la première fois que ça arrivait, non? Et la juge le reconnaît, elle dit que tout cela est important. (...) Mais c'est sûr, ce qu'elle dit c'est +Je ne peux pas avec cette législation+".
Face aux obstacles en Espagne, des associations de victimes se sont tournées vers l'Argentine où la magistrate Maria Servini a invoqué le principe de justice universelle pour ouvrir en 2010 une enquête, toujours en cours, pour génocide et crimes contre l'humanité durant la Guerre civile et la dictature.
Mais ses vingt mandats d'arrêt internationaux contre une vingtaine de représentants du régime franquiste (ministres, juges, policiers) se sont vus opposer une fin de non-recevoir par Madrid.