Le procès de l'ex-président tchadien Hissène Habré pour crimes contre l'humanité devant un tribunal spécial africain à Dakar a été ajourné mardi au 7 septembre, dès le lendemain de son ouverture, l'accusé refusant de se défendre devant une juridiction qu'il récuse.
Face à la volonté affichée de Hissène Habré de boycotter un procès qui se veut exemplaire pour la lutte contre l'impunité en Afrique, la Cour s'est résolue à commettre d'office trois avocats sénégalais, auxquels elle a accordé 45 jours pour "s'approprier l'entièreté de ce dossier".
Le président tchadien déchu, 72 ans, en boubou et turban blancs, qui comme la veille avait été conduit de force au palais de justice de Dakar, a aussitôt pavoisé.
Hissène Habré, qui avait fustigé lundi un tribunal "illégitime et illégal" et "l'impérialisme", s'est levé sous les acclamations de ses partisans criant "Allah akbar!" (Dieu est le plus grand, en arabe). Il leur a souri, a levé le poing, les a salués en serrant les deux mains, et fait le "V" de la victoire.
Mais les avocats des parties civiles ont mis en garde le tribunal contre le risque que ce délai de 45 jours ne permette à l'accusé de "prendre en otage ce procès", notamment en récusant ses avocats commis d'office à la reprise des audiences.
Cet ajournement pourrait lui permettre de "saboter, paralyser, asphyxier une justice dont il ne veut pas, tant il redoute le verdict qui le menace", a averti l'avocat français William Bourdon, au nom du collectif des parties civiles.
En détention depuis deux ans au Sénégal, où il avait trouvé refuge après avoir été renversé par l'actuel président tchadien Idriss Deby Itno, Hissène Habré est poursuivi pour "crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture". Il encourt entre 30 ans de prison ferme et les travaux forcés à perpétuité.
La répression sous son régime (1982-1990), exercée en particulier par la très redoutée Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), sa police politique, a fait 40.000 morts, selon les estimations d'une commission d'enquête tchadienne.
- 'Mépris pour les victimes' -
Arrêté par la DDS en 1985 et détenu pendant quatre ans, le président de l'Association des victimes contre la répression politique au Tchad (AVCRP), Clément Abaïfouta, a fait part à l'AFP de sa "déception".
"On est venus du Tchad avec l'intention de voir Hissène Habré se défendre. C'est dommage qu'il ait affiché ce mépris et craché sur la mémoire des victimes", a déclaré M. Abaïfouta, précisant qu'une dizaine de témoins étaient présents à Dakar, où d'autres devaient les rejoindre.
Reed Brody, cheville ouvrière de cette procédure au sein de l'ONG Human Rights Watch (HRW), a relativisé ce contretemps.
"Bien que le gouvernement de Hissène Habré ait jeté en prison des milliers de personnes sans procès ou même un avocat, il est important, pour un procès tenu au nom de la justice, que Habré bénéficie de la meilleure défense possible", a-t-il souligné.
Le président du tribunal, le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, a d'ailleurs expliqué qu'il incombait aux avocats commis d'office de "sauvegarder les intérêts de Hissène Habré, même contre son gré", et à la Cour d'assurer un procès "impartial, équitable".
Mbacké Fall, procureur général des Chambres africaines extraordinaires (CAE), le tribunal spécial créé en vertu d'un accord entre le Sénégal et l'Union africaine (UA), a assuré que l'accusé n'aurait pas le pouvoir "de récuser qui que ce soit".
Pour François Serres, un avocat français du collectif de défense de Hissène Habré, à qui l'intéressé a demandé de ne pas participer au procès, la décision du tribunal de désigner des avocats commis d'office n'avait "d'autre objet que de crédibiliser le système judiciaire et le système d'injustice qui est mis en place".
"Il n'y a pas de témoin à décharge, il n'y a pas de défense possible, il n'y a pas d'examen des chaînes de responsabilités", a-t-il déclaré à l'AFP.
Ce procès inédit doit aussi permettre à l'Afrique, où la Cour pénale internationale (CPI) est fréquemment accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains, de montrer l'exemple.
Selon le ministre sénégalais de la Justice, Sidiki Kaba, ce procès marque "un signal très fort" pour la justice internationale: "c'est l'Afrique qui juge l'Afrique".
Plus de 4.000 victimes "directes ou indirectes" se sont constituées parties civiles. Le tribunal spécial a prévu d'entendre 100 témoins.