La désignation d'avocats commis d'office pour représenter l'ex-président tchadien Hissène Habré, jugé par un tribunal spécial africain pour crimes contre l'humanité, répond à une obligation de "procès équitable" qui est "dans l'intérêt des victimes", a dit à l'AFP l'expert en droit pénal international Hugo Moudiki Jombwé.
Hissène Habré, également accusé de crimes de guerre et de torture, refuse de comparaître de son plein gré ou de se faire représenter devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), une juridiction siégeant à Dakar qu'il ne reconnaît pas.
La Cour a en conséquence commis mardi trois avocats pour sa défense, leur donnant 45 jours pour prendre connaissance du dossier, ajournant donc le procès au 7 septembre.
Une décision juridiquement incontestable, selon Hugo Moudiki Jombwé, expert en droit pénal international du Consortium de sensibilisation sur les CAE, composé de trois organisations spécialisées dans les droits de l'Homme et la communication.
QUESTION : Pourquoi commettre des avocats d'office alors que Hissène Habré a des avocats ?
REPONSE : "La commission d'office était une hypothèse envisageable dès lors que les avocats de la défense avaient annoncé, depuis des semaines ou des mois, qu'ils n'entendaient pas être présents à l'audience; que l'accusé lui-même n'entendait pas comparaître.
S'ils sont absents, on considère que l'accusé n'est plus défendu, et le procès ne peut pas avancer sans une défense. C'est normal qu'on puisse commettre des avocats d'office".
Q: Les parties civiles ont regretté ce délai de 45 jours, et dit craindre que M. Habré ne prenne "en otage" le procès par une guerre d'usure.
R: "La réaction des parties civiles est tout à fait normale, parce que les victimes attendent que le procès ait lieu, qu'il puisse leur permettre de s'exprimer. Elles sont impatientes, même si elles ont déjà attendu 25 ans. (...)
Quant au délai de 45 jours, il est tout à fait raisonnable. C'est un dossier volumineux, les juges eux-mêmes, depuis qu'ils ont été nommés, ont eu besoin au minimum de deux mois pour s'imprégner de ce dossier. Donc, accorder 45 jours à des avocats qui vont entrer nouvellement dans le dossier me semble être un délai minimum, raisonnable".
Q: Si M. Habré décide de récuser les avocats commis pour sa défense et de garder le silence, le procès pourrait-il se poursuivre avec les garanties nécessaires d'équité et d'impartialité?
R: "Le droit au silence est un droit de l'accusé qu'il faut respecter en toutes circonstances. Mais juridiquement, le tribunal a l'obligation de lui fournir une équipe de défense s'il n'en a pas. L'idée centrale, c'est qu'un accusé, en matière de crimes, qui se retrouve sans avocat, ce n'est pas possible (...).
Mais en même temps, il est important de préciser que les avocats commis d'office pourront faire leur travail même lorsque l'accusé pourra éventuellement refuser de collaborer avec eux.
Ceci ne les empêche pas de préparer les audiences, d'interroger des témoins, d'apporter des éléments de preuve et éventuellement même - si pendant leur travail, pendant les 45 jours, ils arrivent à en connaître - de proposer l'audition d'autres témoins à décharge. Ils pourront valablement faire leur travail.
(...)
C'est difficile pour certaines victimes d'accepter le renvoi du procès pour 45 jours, mais c'est pour respecter les règles d'un procès équitable que tout cela est fait. Même les victimes ont intérêt à ce que la justice soit incontestable".
Propos recueillis par Coumba SYLLA.