L'auteur franco-camerounais Charles Onana est jugé à partir de lundi devant le tribunal correctionnel de Paris pour complicité de contestation du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, le second procès du genre en France.
Dans un livre paru en octobre 2019 et intitulé "Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise. Quand les archives parlent", M. Onana affirme notamment que "le conflit et les massacres du Rwanda n'ont rien à voir avec le génocide des Juifs!" (p.43).
"La thèse conspirationniste d'un régime hutu ayant planifié un +génocide+ au Rwanda constitue l'une des plus grandes escroqueries du XXe siècle", ajoute-t-il (p. 198).
Charles Onana, 60 ans, qui se présente aussi comme politologue et journaliste d'enquête, s'est surtout fait connaître par ses écrits controversés sur le génocide rwandais.
A la suite d'une plainte déposée en 2020 par les associations Survie, la Ligue des droits de l'Homme (LDH) et la Fédération internationale des droits humains (FIDH), M. Onana et le directeur de publication des Editions du Toucan à l'époque de la parution, Damien Serieyx, ont été mis en examen en 2022 pour "contestation publique de crime contre l'humanité", selon l'ordonnance de renvoi que l'AFP a pu consulter.
L'éditeur est poursuivi à titre principal et l'auteur pour complicité, comme c'est l'usage en droit de la presse.
"Nous sommes face à un négationniste assumé qui ne peut se réfugier derrière aucun prétexte", a déclaré à l'AFP Me Sabrina Goldman, avocate de la Licra, également partie civile. "Pour qu'il y ait un génocide, il faut un plan concerté, ce qu'il récuse", a-t-elle dit.
De plus, souligne-t-elle, l'accusé met "systématiquement entre guillemets le terme +génocide+" et avance la thèse d'un "double génocide" des Tutsi et des Hutu.
Le génocide commis en 1994 au Rwanda, à l'instigation du régime extrémiste hutu alors au pouvoir, a fait environ 800.000 morts entre avril et juillet 1994, essentiellement parmi la minorité tutsi, mais aussi chez les Hutu modérés, selon l'ONU.
- "Historique" -
Certaines personnalités controversées ont régulièrement mis en avant le fait qu'un autre génocide, commis par les Tutsi du Front patriotique rwandais (FPR, toujours au pouvoir à Kigali), s'est déroulé dans la foulée, en représailles contre les Hutu.
"M. Onana ne conteste pas du tout le génocide", a réagi auprès de l'AFP son avocat, Me Emmanuel Pire.
"Il s'agit d'un travail de politologue issu de 10 ans de recherche pour comprendre les mécanismes du génocide avant, pendant et après, mais M. Onana ne remet pas en question le fait que les Tutsi étaient particulièrement visés", a-t-il ajouté.
Depuis janvier 2017, la loi sur la liberté de la presse punit le fait de nier, minorer ou banaliser de façon outrancière tous les génocides reconnus par la France.
Le premier procès pour contestation du génocide rwandais s'est tenu en 2022. La journaliste française Natacha Polony était poursuivie pour des propos qui avaient suscité un vif émoi, évoquant "le genre de cas où on avait des salauds face à d'autres salauds".
Les juges l'avaient relaxée, estimant que voir dans ses paroles "une contestation de l'existence du génocide" résultait "d'une extrapolation des propos en cause".
Le procès de M. Onana sera "historique, puisque qu'il n'existe pas encore de jurisprudence à proprement parler en lien avec le Rwanda" sur les questions de négationnisme, a affirmé à l'AFP Camille Lesaffre, chargée de campagne de l'association Survie. "On va surtout se baser sur la jurisprudence liée à la Shoah".
"Cela va permettre de préciser les limites légales des propos que l'on peut tenir sur ce crime contre l'humanité", a-t-elle ajouté.
Une vingtaine de témoins, dont d'anciens officiers militaires français et rwandais, ont été cités par la défense, tandis que les parties civiles ont fait appel à des historiens et professeurs de droit.