OPINION

Palestine-Israël : il est temps de suivre la route du droit vers la paix

Un an après l’attaque du 7 Octobre, la réponse guerrière d’Israël est en passe de s’étendre à l’ensemble de la région. La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu en juillet un avis qui, le 18 septembre, a été suivi par une large majorité d’États à l’Assemblée générale des Nations unies – qui exhortent Israël à mettre fin à l’occupation de la Palestine. Lorsque tout le reste a échoué, demande l’avocate internationale Nada Kiswanson, pouvons-nous suivre les cinq points d’action de la CIJ, qui tracent une feuille de route vers la paix ?

Palestine/Israël : quelles sont, en synthèse, les recommandations de la Cour internationale de justice (CIJ), en matière de droit, et la résolution des Nations Unies pour stopper et réparer l’occupation israélienne jugée illégale. Photo : session extraordinaire de l'Assemblée générale de l'Onu lors d'un vote sur l'occupation israélienne des territoires palestiniens.
Le 18 septembre 2024, à New York, les États membres de l’Onu votent très majoritairement en faveur d’une résolution exigeant la fin de l'occupation israélienne des territoires palestiniens, dans un délai d'un an. Le texte se fonde sur un avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) qualifiant d’« illégale » l’occupation israélienne depuis 1967. Photo : © Bryan R. Smith / AFP
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La course du monde devrait être arrêtée à l’heure qu’il est. Enfants, femmes et hommes y souffrent de la guerre, de génocide, de répression politique, de famine, de pauvreté, de catastrophes environnementales, de l’inégalité des sexes et du racisme. Qui pourrait être blâmé de vouloir que le monde s’arrête pour qu’il change de cap ?

Depuis un an plus de 40 000 Palestiniens, dont une majorité d’enfants et de femmes, ont été tués dans la bande de Gaza. Leur souffrance est trop énorme pour être comprise par la plupart des gens, et ne peut être réduite à des généralités. La caractérisation par la Cour internationale de justice de ce qui se passe dans la bande de Gaza – comme étant un cas plausible de génocide au XXIe siècle – n’a pas déclenché l’action nécessaire pour arrêter et prévenir la violence. Dans notre réalité du « chacun pour soi » qui se traduit par une complaisance persistante envers Israël, la violence se répand maintenant aux pays voisins.

À l’heure où j’écris ces lignes, la guerre et la destruction se sont étendues au Liban, au Yémen et à la Syrie, Israël faisant la démonstration spectaculaire de son puissant rayon d’action politique, militaire ainsi qu’en matière de renseignement, et de sa capacité à modifier les équilibres régionaux. Des missiles volent au-dessus des têtes des habitants de Jordanie de Palestine et d’Israël. L’Iran a tiré des missiles sur Israël. 

La réalité n’est cependant pas toujours aussi compliquée qu’il n’y paraît. La Cour internationale de justice (CIJ) et l’Assemblée générale des Nations unies ont récemment remis aux dirigeants du monde entier une feuille de route inédite, détaillant ce qu’Israël et les autres États doivent faire pour se conformer au droit international et mettre fin à sa présence illégale en Palestine. Si elle est correctement et rapidement mise en œuvre, cette feuille de route peut entraîner un retour à la légalité et à la paix dans toute la région et épargner aux générations futures les ravages de la guerre et de l’oppression.

Principaux enseignements de l’avis consultatif de la CIJ

Le 19 juillet 2024, la CIJ a rendu un avis consultatif sur les « conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », à la demande de l’Assemblée générale des Nations unies. Comme demandé, les éminents juges se prononcent notamment sur le statut du territoire palestinien, la nature de la présence et du comportement d’Israël, l’autodétermination palestinienne et les conséquences juridiques qui en découlent pour les États et pour les Nations unies. Il examine les transferts d’Israéliens dans les territoires occupés, la confiscation des terres palestiniennes, les déplacements forcés de Palestiniens, l’exploitation de leurs ressources naturelles, la législation concernant les Palestiniens et les mesures discriminatoires à leur encontre. Fait extraordinaire, il établit également des liens entre les pratiques et les politiques d’Israël et les réformes qu’il a imposés au territoire palestinien, ce qui lui permet de tirer des conclusions sur les intentions d’Israël à l’égard de la Palestine.

En liant de manière transparente les pratiques et politiques d’Israël avec son « intention manifeste de créer une présence israélienne permanente et irréversible dans le territoire palestinien occupé », la CIJ conclut finalement que « l’abus soutenu par Israël de sa position de puissance occupante, par l’annexion et l’affirmation d’un contrôle permanent sur le territoire palestinien occupé et la frustration continue du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, viole les principes fondamentaux du droit international et rend illégale la présence d’Israël dans le territoire palestinien occupé ».

Plusieurs universitaires et praticiens du droit ont écrit sur les conséquences possibles du passage du temps sur le statut d’Israël en tant que puissance occupante et sur ses obligations juridiques. Certains sont allés jusqu’à questionner la pertinence du droit international humanitaire dans le contexte actuel. Mais la Cour, non seulement confirme qu’Israël a l’obligation d’administrer dans le respect du droit international humanitaire l’ensemble du territoire, y compris la bande de Gaza et Jérusalem-Est, mais elle souligne aussi que lorsqu’une puissance occupante ne le fait pas et agit de mauvaise foi, sa présence est illégale.

Un autre élément important à retenir est le point de vue de la CIJ sur la discrimination d’Israël à l’égard des Palestiniens, pour des raisons raciales, religieuses et ethniques. Après avoir analysé la législation et les mesures discriminatoires israéliennes, la Cour observe que celles-ci « imposent et servent à maintenir une séparation quasi complète en Cisjordanie et à Jérusalem-Est entre les communautés de colons et les communautés palestiniennes, [et que] la législation et les mesures israéliennes constituent donc une violation de l’article 3 » de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Cet article dispose que « les États parties condamnent la ségrégation raciale et l’apartheid et s’engagent à prévenir, interdire et éliminer toutes les pratiques de cette nature ». Il y a quinze ans, le simple fait d’insinuer qu’Israël pourrait imposer un régime d’apartheid relevait du suicide politique et professionnel. Aujourd’hui, des organes de l’Onu faisant autorité n’hésitent pas à conclure qu’Israël viole la Convention sur la discrimination raciale, et des organisations de défense des droits humains affirment avec fermeté qu’Israël commet des crimes contre l’humanité en pratiquant l’apartheid et la persécution raciale.

Un drapeau israélien flotte sur la colonie de Beit Romano dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie occupée.
Un drapeau israélien flotte sur la colonie de Beit Romano dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie occupée, le 15 septembre 2024. La résolution des Nations unies et l’avis consultatif de la Cour internationale de justice offrent une alternative fondée sur le droit aux négociations de paix, actuellement dans l’impasse. Photo : © Hazem Bader / AFP

La « to-do-list » de la CIJ

La résolution de l’Assemblée générale des Nations unies de 2022 demandait un avis consultatif à la CIJ sur la question suivante : « Quelles sont les conséquences juridiques du statut [d’Israël] pour tous les États et les Nations unies ? »

En réponse, la CIJ articule dans son dernier paragraphe un plan simple et raisonnable en cinq étapes sur ce qui doit être fait : (1) Israël doit mettre fin à sa présence illégale dans le territoire palestinien occupé aussi rapidement que possible ; (2) Israël doit cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation et évacuer tous les colons ; (3) Israël doit réparer les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales dans le territoire occupé ; (4) les États ont l’obligation de ne pas reconnaître comme légale la situation résultant de la présence illégale d’Israël et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence continue ; et (5) les organisations internationales, y compris l’Onu, ont l’obligation de ne pas reconnaître comme légale la situation résultant de la présence illégale d’Israël dans le territoire palestinien occupé.

L’avis de la CIJ selon lequel Israël doit rapidement mettre fin à sa présence parce qu’elle est illégale contredit la conception qu’ont les États de l’occupation, à savoir un état de fait légal mais temporaire, dans l’attente d’une solution politiquement négociée. En outre, l’appel lancé à Israël pour qu’il évacue tous ses colons des territoires palestiniens occupés est en contradiction avec une question clé de désaccord politique : alors qu’il existe un large consensus pour qu’Israël cesse de construire des colonies, les politiques des États ont divergé sur le sort des colons déjà installés. À juste titre, la CIJ n’accorde aucune attention au soutien politique en faveur du maintien des colons sur le territoire, et donne plutôt raison à l’expression « un tort ne peut pas corriger un tort ». 

Date limite de la feuille de route

Une résolution a donc été adoptée le 13 septembre 2024, par l’Assemblée des Nations unies sur l’avis consultatif de la CIJ – qui avait elle-même demandé que l’Onu, son Assemblée mais aussi le Conseil de sécurité, « examine les modalités précises et les mesures supplémentaires requises pour mettre fin aussi rapidement que possible » à la présence illégale d’Israël. C’est ce qu’a fait l’Assemblée : après avoir accueilli favorablement l’avis consultatif, elle a fixé un délai de 12 mois à compter de l’adoption de la résolution pour qu’Israël mette fin à sa présence illégale, ce qui implique le retrait des forces militaires israéliennes de la bande de Gaza et de l’espace aérien et maritime de la Cisjordanie, l’évacuation de tous les colons et l’abrogation de toutes les lois et mesures discriminatoires à l’égard du peuple palestinien. La résolution exige également qu’Israël restitue toutes les terres et autres biens immobiliers saisis depuis le début de l’occupation, et qu’il permette à tous les Palestiniens déplacés de retourner dans leur lieu de résidence d’origine. Le droit au retour des Palestiniens est limité dans cette résolution à ceux qui ont été déplacés pendant l’occupation, ce qui exclut les centaines de milliers de Palestiniens qui ont fui les régions aujourd’hui reconnues comme faisant partie de l’État d’Israël en 1948 et autour de cette date.

L’Assemblée acte les demandes de la Cour concernant les obligations juridiques des États tiers. Elle demande concrètement à tous les États de s’abstenir d’entretenir des relations conventionnelles avec Israël dans toutes les situations où celui-ci prétend agir au nom des Palestiniens ou pour des questions les concernant, et de s’abstenir d’établir ou de maintenir des missions diplomatiques en Israël. Sous-entendu, les gouvernements qui déplacent leurs ambassades à Jérusalem seraient bien avisés de reconsidérer leur décision.

Dans le même ordre d’idées, l’Assemblée générale demande aux États d’imposer des sanctions, de cesser d’importer des produits provenant des colonies israéliennes et de s’abstenir d’entretenir avec Israël des relations économiques ou commerciales susceptibles de renforcer sa présence illégale. L’Union européenne, qui est le plus gros partenaire commercial d’Israël, a déjà émis des directives en matière d’étiquetage afin de distinguer les produits originaires des colonies israéliennes des produits originaires d’Israël. La résolution des Nations unies va plus loin et affirme que l’étiquetage des produits issus des colonies est insuffisant.

La résolution des Nations unies et l’avis consultatif de la CIJ vont à l’encontre des objectifs d’Israël et d’autres États puissants dans les territoires occupés en offrant une alternative juridiquement fondée au cadre de négociation politique actuellement au point mort concernant Israël et la Palestine. Il s’agit d’une alternative qui a un poids juridique et un fondement moral, et qui déjoue les déséquilibres de pouvoir qui régissent les négociations politiques. Sans surprise, Israël et les États-Unis ont voté contre et de nombreux États européens se sont abstenus.

Les cinq points d’action définis dans l’avis consultatif de la CIJ, ainsi que les mesures élaborées par l’Assemblée sont loin d’être timorés. Ils sont destinés à une communauté internationale qui respecte la Charte des Nations unies et le droit international, y compris le droit à l’autodétermination et l’interdiction absolue de l’acquisition de territoires par la force. Ces points d’action s’adressent aux États respectueux des lois qui tiennent à une communauté internationale fondée sur des normes, dans laquelle les États garantissent à tous les êtres humains la jouissance égale de leur droit à la vie, à la sécurité, à l’égalité et à la dignité.

Nada KiswansonNADA KISWANSON

Nada Kiswanson est une avocate internationale spécialisée dans les poursuites et les enquêtes relatives aux crimes internationaux, et dans la défense des victimes devant les tribunaux internationaux. Elle a longuement travaillé au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et, depuis 2009, sur l’occupation israélienne. Elle représente les droits d’environ 700 victimes palestiniennes devant la Cour pénale internationale. Elle est co-éditrice de l’ouvrage « Prolonged Occupation and International Law : Israël et Palestine », titulaire d’une licence et d’un master en droit de l’université d’Uppsala en Suède et d’un master en droit de l’université de Leiden aux Pays-Bas.

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