Lafarge en Syrie: un premier procès ordonné pour financement du terrorisme

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Le groupe Lafarge et huit personnes, dont quatre anciens responsables, seront jugés à Paris fin 2025 pour financement du terrorisme: ils sont accusés d'avoir payé des groupes terroristes pour pouvoir maintenir l'activité d'une cimenterie en Syrie jusqu'en 2014 dans le contexte de guerre civile.

Trois juges d'instruction ont ordonné mercredi que Lafarge, désormais filiale du groupe suisse Holcim, et les huit prévenus soient jugés par le tribunal correctionnel de Paris pour financement d'entreprises terroristes et, pour certains, non-respect de sanctions financières internationales, du 4 novembre au 9 décembre 2025, selon un calendrier prévisionnel.

"Lafarge S.A. prend acte de la décision des magistrats instructeurs dans ce dossier hérité du passé", a réagi le groupe dans une brève déclaration transmise à l'AFP.

Les mis en cause sont des membres de la chaîne opérationnelle ou de la chaine de sûreté, deux intermédiaires syriens, ainsi que le directeur général de Lafarge SA d'alors, Bruno Lafont.

Eux et le cimentier "ont, dans une logique de recherche de profits pour l'entité économique qu'ils servaient, ou pour certains de profit personnel direct, organisé, validé, facilité ou mis en oeuvre une politique supposant de faire parvenir un financement aux organisations terroristes implantées autour de la cimenterie" à Jalabiya (Syrie), selon l'ordonnance de renvoi consultée par l'AFP.

L'instruction "n'a jamais voulu sortir de la ligne tracée à l'origine par l'enquête interne - une enquête à charge faite uniquement pour satisfaire le Department of Justice américain", a regretté auprès de l'AFP Me Solange Doumic, avocate de l'ex-directeur général adjoint opérationnel, Christian Herrault.

"La réalité des faits vécue par mon client n'a pas été prise en compte", a-t-elle regretté.

Les autres avocats en défense n'ont pas souhaité réagir ou n'ont pas répondu à l'AFP.

Les juges d'instruction ont en revanche ordonné un non-lieu pour l'ancien directeur de la sûreté.

"Après sept années d'un combat judiciaire sans relâche, l'innocence de Jean-Claude Veillard est enfin établie. C'est un grand soulagement", ont réagi auprès de l'AFP ses avocats, Sébastien Schapira et Antoine Galudec.

"Cette ordonnance est actuellement en cours d'analyse", a indiqué le parquet national antiterroriste (Pnat), "qui dispose d'un délai de 10 jours pour interjeter appel".

Lafarge est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), 5 millions d'euros à des groupes jihadistes, dont l'organisation Etat islamique (EI), et à des intermédiaires afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, alors que le pays s'enfonçait dans la guerre.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après deux plaintes en 2016 du ministère de l'Economie sur le non-respect de sanctions financières internationales et des associations Sherpa, Centre européen pour les droits constitutionnels (ECCHR) ainsi que onze anciens salariés de LCS.

- "Contreparties" -

Entre 2013 et 2014, "la société conservait son autonomie décisionnelle, et aurait pu à tout moment mettre fin à l'exploitation de l'usine, notamment au moment où ses dirigeants avaient pris connaissance des exigences financières des entités terroristes", écrivent les juges d'instruction.

"En acceptant de payer ces entités, la société évaluait les contreparties qu'elle pourrait en retirer, telles que le déblocage des routes, la libre circulation des camions et des salariés de l'usine grâce à la délivrance de laissez-passer", ajoutent-ils.

Les flux financiers incriminés concernent "la rémunération d'intermédiaires permettant l'approvisionnement de l'usine en matières premières" par des groupes terroristes et "la circulation des employés et des marchandises sur les territoires" qu'ils occupaient, selon l'ordonnance.

L'existence de communications "entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets français ne démontre absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie", estiment les juges d'instruction, écartant, comme l'avait fait le Pnat, toute incitation à se maintenir en Syrie malgré la guerre civile.

Par ailleurs, soulignent-ils, "aucun des mis en examen n'est suspecté d'avoir eu la moindre sympathie pour les causes défendues par ces organisations (terroristes) ou spécifiquement souhaité soutenir leurs objectifs".

"La perspective de ce procès ne doit pas occulter l'autre volet fondamental de l'instruction : la société reste mise en examen pour complicité de crimes contre l'humanité commis par des groupes armés", a considéré dans un communiqué Sherpa, partie civile, rappelant que "Lafarge (était) la première société au monde à avoir été mise en examen" pour "le plus grave des crimes".

Le volet de l'information judiciaire concernant ces soupçons est toujours en cours.

La Cour de cassation a définitivement validé en janvier cette rarissime mise en examen de la société, rendant possible un autre procès, cette fois devant les assises.