Quatre-vingt ans après la fin de la féroce occupation nazie de la Grèce, le président allemand Frank-Walter Steinmeier se rend jeudi à Kandanos, un village de Crète entièrement détruit par les troupes d'Hitler, pour y rappeler la "responsabilité politique et morale" de l'Allemagne.
Avant cette visite hautement symbolique, le chef de l'Etat allemand a insisté sur "les atrocités commises par les Allemands en Grèce" tout en assurant une nouvelle fois que la question des réparations de guerre, contentieux de longue date entre Berlin et Athènes, était définitivement réglée du point de vue de l'Allemagne.
Le déchaînement de brutalité des nazis est "un sujet difficile qui joue un rôle dans nos relations actuelles et que nous ne devons pas éluder", a-t-il assuré lors d'une rencontre avec son homologue grecque, Katerina Sakellaropoulou mercredi à Athènes.
Dans le quotidien grec Ta Nea, M. Steinmeier a martelé la nécessité de "garder vivant ce chapitre terrible et douloureux de notre histoire", déplorant qu'"il ne tombe trop facilement dans l'oubli".
Le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis voit dans ce déplacement "un geste très important" de reconnaissance "des atrocités perpétrées par les nazis".
Peu connue hors de Grèce, l'occupation nazie de ce pays méditerranéen (1941-1944) a été parmi les plus sanglantes en Europe.
Pour l'historien Hagen Fleischer, "dans aucun autre pays non slave, les SS et la Wehrmacht n'ont sévi aussi brutalement qu'en Grèce".
De 1941 à 1944, la Grèce fut saignée à blanc, sa population réduite à la famine. Face à la résistance farouche des Grecs, les nazis ont pillé, incendié, massacré, fusillé.
Près de 54.000 juifs grecs, dont la majorité vivait à Thessalonique, ont été déportés à Auschwitz, 90% de sa communauté a été exterminée, selon l'historien Mark Mazower, auteur d'un ouvrage de référence "Dans la Grèce d'Hitler".
Le IIIe Reich a également imposé un prêt forcé à la banque centrale de Grèce, jamais remboursé.
Le président allemand, qui effectue sa quatrième visite en Grèce, doit notamment s'entretenir avec des survivants de Kandanos, ce village crétois à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de La Canée qui fut rasé le 3 juin 1941 par les nazis.
- "Crime de guerre" -
Quelque 180 de ses habitants avaient été tués par des soldats allemands après que les villageois eurent participé à la bataille de Crète en mai 1941 pour tenter d'empêcher l'invasion aéroportée de l'île du sud de la Grèce par les nazis.
Un "crime de guerre", a rappelé Frank-Walter Steinmeier, "pour lequel le commandant responsable (Kurt Student, ndlr) n'a jamais été condamné par la justice".
De fait ce militaire avait été libéré dès 1948.
Dans le village reconstruit, l'une des plaques commémoratives rappelle la pancarte rédigée en allemand et en grec sur laquelle les nazis avaient inscrit: "en représailles à l'assassinat bestial d'une section de parachutistes et d'une demi-section de pionniers par des hommes et des femmes armés embusqués, Kandanos a été détruit".
Le président allemand a coupé court à la question des réparations de guerre jamais versées par l'Allemagne, un sujet hautement sensible en Grèce quoi que mis en sourdine à la faveur de l'arrivée au pouvoir en 2019 du conservateur Mitsotakis.
"La question des réparations est close pour notre pays au regard du droit international", a répété M. Steinmeier.
- "Revendications permanentes" -
Une position que ne partage pas Athènes. Pour Kyriakos Mitsotakis, "ces questions sont encore très 'vivantes'", a-t-il asséné avant un entretien avec M. Steinmeier. "Nous espérons qu'à un moment donné nous les résoudrons", a-t-il insisté.
Ce débat acrimonieux était réapparu au moment de la crise financière entre 2008 et 2018 en Grèce alors écrasée par une dette publique abyssale.
Il y a cinq ans, une commission parlementaire grecque avait même évalué ces réparations à plus de 270 milliards d'euros.
Berlin n'a jamais dédommagé la Grèce et assure que la question a été réglée en 1990 avant la Réunification, par les Alliés (Union soviétique, Etats-Unis, Royaume-Uni, France) et les deux Allemagne.
Il a fallu attendre 2014 et la visite du prédécesseur de M. Steinmeier, Joachim Gauck pour que, témoignant de sa "honte et de sa souffrance", un chef d'Etat allemand demande pardon à la Grèce.