L'incorporation de force dans l'armée nazie de plus de 130.000 Alsaciens et Mosellans, de 1942 à 1945, a constitué pour toute une génération de "Malgré-nous" un tabou et un traumatisme toujours bien présents.
Près de 10% de la population régionale ont été concernés par cet ordre du IIIe Reich, qui avait annexé de fait l'Alsace et la Moselle après l'armistice de 1940.
Les décrets des 25 et 29 août 1942 imposèrent l'incorporation de plus de 103.000 Alsaciens et 31.000 Mosellans, dans la Wehrmacht mais aussi dans la Luftwaffe et la Waffen-SS.
Environ 40.000 de ces hommes ne sont jamais revenus: 30.000 ont péri lors des combats ou en captivité et 10.000 à 12.000 sont portés disparus. De très nombreux Alsaciens ou Mosellans sont aujourd'hui filles ou fils de "Malgré-nous", parmi lesquels l'ancien maire (PS) de Strasbourg, Roland Ries.
Contraints de porter l'uniforme ennemi sous peine de représailles contre leur famille, les incorporés de force furent très majoritairement affectés dans des unités combattant sur le front russe. Nombre d'entre eux y furent faits prisonniers ou désertèrent, croyant pouvoir rejoindre la France Libre.
- "Pas des traîtres" -
Battus par les soldats soviétiques, ils furent près de 15.000 à être expédiés vers le cauchemardesque camp de Tambov, à 450 kilomètres de Moscou, où 3 à 6.000 d'entre eux périrent, victimes de sous-alimentation, de dysenterie et des températures polaires. Le dernier "Malgré-nous" n'en revint qu'en 1955.
Les associations de survivants et leurs descendants voudraient obtenir de l'Allemagne la reconnaissance d'un "crime contre l'humanité". En 1982, Berlin, qui n'a jamais émis de déclaration officielle sur la question, a versé 250 millions de Deutsche Marks (128 millions d'euros) de dommages et intérêts aux "Malgré-nous" et à leurs ayant droit.
Quelque 6.000 femmes alsaciennes ou mosellanes ont également été envoyées en Allemagne pour y être "germanisées", enrôlées dans des services de l'armée ou dans des usines de guerre. Ces "Malgré-elles" ont dû attendre 2008 pour bénéficier à leur tour d'une indemnisation.
En 2010, Nicolas Sarkozy fut le premier président français à rendre un hommage public aux "Malgré-nous", dont l'histoire a été une longue source de malentendus et de méfiance entre le reste de la France et ces deux provinces françaises et germanophones.
"Les +Malgré-nous+ ne furent pas des traîtres, mais au contraire les victimes d'un véritable crime de guerre", avait résumé l'ancien chef de l'Etat. "On leur mit un uniforme qui n'était pas celui du pays vers lequel allaient leur coeur et leur fidélité. On les força à agir contre leur patrie, leur serment, leur conscience", avait-il dit.
Victimes dans leur immense majorité du nazisme, quelques "Malgré-nous" furent cependant des bourreaux dans les rangs de la Waffen SS.
Quatorze Alsaciens (un engagé volontaire et 13 "Malgré-nous") furent ainsi condamnés en 1953 pour leur participation à la tuerie d'Oradour-sur-Glane, bourgade du Limousin où 642 personnes furent massacrées par une unité SS le 10 juin 1944.
Sous la pression des élus alsaciens, hostiles à l'idée qu'Alsaciens et soldats allemands puissent être mis sur le même plan, les "Malgré-nous" avaient ensuite été amnistiés par le Parlement, au grand dam de certains Limousins.