En invoquant mercredi "l'immunité" dont bénéficierait le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, visé par un mandat d'arrêt de la Cour Pénale internationale (CPI), Paris soulève de nombreuses questions et s'attire de vives critiques de juristes et d'ONG.
L'annonce de la CPI le 21 novembre de mandats d'arrêts pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité à l'encontre de Benjamin Netanyahu et de son ex ministre de la défense Yoav Gallant a suscité la fureur d'Israël, qui a fait appel mercredi de la décision de la Cour, bien qu'elle ne la reconnaisse pas.
Pressée de questions pour savoir si le dirigeant israélien pourrait être arrêté, la France est le premier et pour l'instant le seul des 124 Etats parties au Statut de Rome à avoir évoqué une "immunité", quand l'Italie ou le Royaume-Uni ont immédiatement annoncé qu'ils respecteraient leur engagement auprès de la CPI.
De quelle immunité parle la France ?
Paris répète depuis plusieurs jours que la France "respectera ses obligations internationales".
Mercredi, le ministère des Affaires étrangères a répété cette antienne, mais invoqué les obligations prévues dans le droit international liées aux "immunités des Etats non parties à la CPI", ce qui est le cas d'Israël. La France a assuré que "de telles immunités s'appliquent au Premier ministre Netanyahu" et "devront être prises en considération".
Que dit la CPI ?
L'article 27 du statut de Rome, qui instaure la CPI en 1998, stipule que "la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement (...) n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut".
"Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne", selon ce texte.
L'article 98 du Statut en revanche introduit une exception concernant l'arrestation et la remise de responsables d'Etats non membres de la CPI, comme c'est le cas d'Israël, et ouvre la voie aux interprétations.
C'est sur cet article que se base notamment la position française.
Mais les juristes renvoient à plusieurs décisions de la CPI, dont l'une le 24 octobre dernier. Saisie du refus de la Mongolie, signataire du Statut de Rome, d'arrêter le président russe Vladimir Poutine alors qu'il se trouvait sur son territoire, la Chambre préliminaire de la CPI a réaffirmé que "l'immunité personnelle, y compris celle des chefs d'Etat, n'est pas opposable devant la CPI. Les Etats parties ont le devoir d'arrêter et de remettre les personnes faisant l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI, quelle que soit leur position officielle ou leur nationalité".
En 2017, la Chambre préliminaire avait rendu une décision similaire concernant l'Afrique du sud, Etat partie de la CPI, qui n'avait pas arrêté le président soudanais Omar el-Béchir sur son territoire en 2015.
"Position choquante"
Pour plusieurs spécialistes, la position française ne tient pas.
"Il y a une obligation juridique et sans ambiguïté de tout Etat partie au Statut de Rome à exécuter les mandats d'arrêt de la CPI", affirme Me Clémence Bectarte, spécialiste en droit pénal international. "L'obligation vis à vis de la CPI prime sur toute autre obligation ou considération", dit-elle à l'AFP.
Amnesty international insiste sur "les obligations fondamentales de la France en tant qu'Etat partie à la CPI".
Pour la directrice France de Human Rights Watch (HRW), Bénédicte Jeannerod, la position française est "profondément choquante".
"Les mandats d'arrêts de la CPI ne sont pas négociables", dénonce la FIDH, pour qui la décision française "fragilise dangereusement le droit international".
Les cas Poutine et el-Béchir
Vladimir Poutine est visé depuis 2023 par un mandat d'arrêt de la CPI pour crime de guerre de déportation d'enfants ukrainiens.
L'ancien président soudanais Omar el-Béchir a été visé par un mandat d'arrêt de la CPI en 2009 et 2010 pour crimes contre l'humanité au Darfour.
Ni la Russie ni le Soudan ne sont Etats parties à la CPI, mais la France n'a jamais soulevé publiquement la question de l'immunité de ces dirigeants.
Paris avait salué une décision "extrêmement importante" lors de l'émission du mandat d'arrêt contre Poutine.
"La France ne peut pas avoir une position avec Poutine et une autre concernant Netanyahu", estime Balkees Jarrah, spécialiste de la justice internationale à HRW, dénonçant une "honteuse politique à la carte" de Paris.