Le chef de la junte birmane Min Aung Hlaing fait l'objet d'une requête par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) pour un mandat d'arrêt, pour des crimes présumés contre l'humanité, mais le général pourrait ne jamais comparaître devant un tribunal.
- Qui est Min Aung Hlaing? -
Min Aung Hlaing, 68 ans, dirigeait l'armée, appelée Tatmadaw en birman, durant les années de transition démocratique amorcée sous Aung San Suu Kyi, mais les deux dirigeants ne s'appréciaient guère, selon des sources internes.
Alors proche de la retraite, le général a orchestré un coup d'État en février 2021 pour déloger sa rivale, envoyée en prison.
Depuis, la Birmanie a sombré dans une crise multidimensionnelle, marquée par des affrontements sanglants entre les forces armées et leurs ennemis issus de minorités ethniques et de l'opposition politique.
La demande du procureur de la CPI, Karim Khan, concerne les activités de Min Aung Hlaing avant le putsch, durant "deux vagues de violences survenues en 2016 et 2017 et durant l'exode des Rohingyas".
Sous son commandement, la Tatmadaw est accusée d'avoir conduit une répression de grande ampleur contre les Rohingyas, minorité majoritairement musulmane vivant dans l'État de Rakhine (ouest).
En août 2017, environ 750.000 Rohingyas ont fui au Bangladesh voisin, selon l'ONU, face aux exactions de l'armée birmane - viols, incendies et massacres.
S'il apparaît souvent à la une de la presse d'État, Min Aung Hlaing s'est exprimé au compte-goutte auprès de médias chinois et russes.
- Pourquoi maintenant? -
La requête survient sept ans après les crimes présumés, alors qu'environ un million de Rohingyas vivent entassés dans des camps au Bangladesh, sans emploi, ni école pour les enfants, et souvent confrontés à la faim et aux violences.
Pour des experts interrogés par l'AFP, le calendrier répond à des questions d'ordre politique.
"Il n'y a probablement pas de coïncidence" que la demande du procureur, annoncée mercredi, tombe six jours après l'émission des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre, estime l'analyste indépendant David Mathieson.
"Il y a un parfum d'opportunisme politique dans la décision du procureur, qui utilise les Rohingyas pour paraître équilibré", a-t-il poursuivi.
- Son arrestation est-elle possible? -
Les juges de la CPI doivent désormais décider d'accorder ou non le mandat d'arrêt.
Si celui-ci est accordé, les 124 pays membres de la CPI seront théoriquement obligés d'arrêter le chef de la junte s'il se rend sur leur territoire.
Mais Min Aung Hlaing ne s'aventure que rarement hors des frontières.
Deux mois après le coup d'État, il s'était rendu en Indonésie pour assister à un sommet régional, spécialement convenu pour mettre fin à la crise birmane. Depuis, il a été banni des réunions de haut niveau du bloc des pays d'Asie du Sud-Est (Asean).
Il s'est aussi rendu en Russie et en Chine, deux alliés et fournisseurs d'armes cruciaux pour Naypyidaw, qui ne reconnaissent pas non plus l'autorité de la CPI.
Pékin a d'ailleurs réagi jeudi en appelant la CPI à maintenir une "position objective et impartiale" et à "exercer son autorité avec prudence".
- Quel impact sur le conflit civil en cours? -
Un mandat d'arrêt "ne va pas certainement modifier le comportement des troupes au sol", estime Richard Horsey, spécialiste de la Birmanie pour l'International Crisis Group.
Incendies de villages, bombardements aériens, tirs d'artillerie... La junte est régulièrement accusée de commettre des atrocités contre les populations civiles, soupçonnées de soutenir l'opposition que la junte assimile à des "terroristes".
Mais depuis une attaque coordonnée de groupes rebelles en octobre 2023, l'armée apparaît dans une position de faiblesse jamais vue depuis le coup d'État, concédant des territoires, dans un mouvement de repli qui a fragilisé l'image de Min Aung Hlaing auprès de ses soutiens et des soldats.
Tout mandat "pourrait avoir pour effet de rehausser son estime parmi ceux qui détestent les Rohingyas et les nationalistes purs et durs", selon David Mathieson.
"C'est aussi un piètre réconfort pour le reste de la Birmanie où des crimes atroces sont perpétrés chaque jour et où l'impunité règne", a-t-il poursuivi. "L'obligation de rendre des comptes au niveau international marche au ralenti".
La décision de la CPI pourrait aussi compliquer les relations entre la communauté internationale et Min Aung Hlaing en vue de négociations pour la paix, alors que le chef de la junte a promis des élections pour l'année prochaine.