Un procès pour génocide et crimes contre l'humanité a été requis à Paris à l'encontre d'un commerçant hutu rwandais, installé en France depuis 2009, accusé d'avoir exécuté des membres de la minorité tutsi entre avril et juillet 1994, ce qu'il conteste vigoureusement.
Le parquet national antiterroriste (Pnat) a confirmé à l'AFP avoir demandé le 29 octobre la mise en accusation devant la cour d'assises de Madjaliwa Safari, 59 ans, présenté dans son réquisitoire définitif dont l'AFP a eu connaissance comme un "commerçant prospère" de la ville de Nyanza "jouissant d'un certain statut social".
Cet homme vivait en France depuis 2009 avec sa famille près de Tours (centre), où il gérait un magasin. Titulaire du statut de réfugié depuis 2017, il a été arrêté en juillet 2023. Il est depuis mis en examen (inculpé) et incarcéré. Il conteste toutes les accusations.
"M. Safari est parfaitement innocent de ces graves accusations (...), j'ai sollicité le prononcé à son bénéfice d'un non-lieu pur et simple et sa remise en liberté immédiate", a déclaré auprès de l'AFP son avocat Me Philippe Meilhac.
Il a dénoncé une instruction "au pas de course" et "une absence totale de crédibilité des témoins de ce dossier qui sont principalement des personnes condamnées pour les faits que l'on cherche à imputer à M. Safari, et qui ont été détenus pendant de nombreuses années, certains l'étant même encore".
Il revient désormais au juge d'instruction de décider de le renvoyer ou non en procès.
Madjaliwa Safari est accusé d'avoir participé à des exécutions de civils tutsi dans l'actuelle province rwandaise du Sud, en particulier dans les ex-préfectures de Gitarama et Butare.
Selon les éléments de l'enquête, le tribunal populaire rwandais ("gacaca") l'a condamné en 2007 à 15 ans d'emprisonnement, mais selon une source proche du dossier, il n'a pas exécuté sa peine.
En 2019, sur la base d'un mandat d'arrêt émis en juillet 2017 par le procureur général du Rwanda, les autorités rwandaises ont demandé à la justice française de l'extrader, ce qu'elle a refusé de faire.
Le Pnat, compétent pour les crimes contre l'humanité, a néanmoins confié des investigations à un juge d'instruction spécialisé en novembre 2019.
Depuis, les enquêteurs de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité et les crimes de haine (OCLCH) se sont rendus cinq fois au Rwanda.
- "Adjoint" ? -
Dans ses réquisitions, le Pnat soutient que Madjaliwa Safari a été l'adjoint du chef - aujourd'hui décédé - de la barrière de Bigega, dite "Chez Premier", où ont été massacrés des Tutsi et à proximité de laquelle a été retrouvée une fosse commune.
Des témoins disent l'avoir vu avec un fusil; d'autres parlent d'une "petite hache".
Madjaliwa Safari conteste avoir joué un rôle particulier à cette barrière, affirmant avoir dû s'occuper de son père, blessé, et ne pas avoir pu circuler librement dans la région.
Le Pnat demande en particulier à ce qu'il réponde de l'attaque à cette barrière d'un "clan composé de Tutsi", le 22 avril 1994.
"Les victimes rescapées membres du clan n'ont pas été en mesure de désigner les auteurs de cette attaque ou n'ont pas vu Madjaliwa Safari y participer", reconnaît le Pnat, qui s'appuie sur d'autres témoignages, qualifiés de "constants et concordants", pour demander à ce qu'il soit jugé.
Sur la foi de deux témoins, le Pnat lui impute également le meurtre à coups de hache d'un Tutsi, âgé d'environ 20 ans.
Il est aussi mis en cause pour la mort d'un vieil homme tutsi à la barrière. Certains témoins disent qu'il l'a tué lui-même, d'autres qu'il en a donné l'ordre. Le Pnat conclut à son "implication active".
Le parquet requiert l'abandon des poursuites pour quatre autres séries de meurtres visés par l'acte d'accusation rwandais.
Le génocide de 1994 au Rwanda, à l'instigation du régime extrémiste hutu alors au pouvoir, a fait environ 800.000 morts entre avril et juillet 1994, selon l'ONU, essentiellement parmi la minorité tutsi mais aussi des Hutu modérés.
Les massacres à grande échelle ont débuté après un attentat contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, de retour d'Arusha (Tanzanie) où se tenaient des négociations de paix avec la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR, à majorité tutsi, aujourd'hui au pouvoir).