Des enquêteurs de l'ONU ont établi des listes secrètes de milliers d'auteurs de crimes graves en Syrie et espèrent que la chute de Bachar al-Assad va permettre de poursuivre les coupables présumés au plus haut niveau.
"Il est très important que les auteurs de crimes au plus haut niveau soient traduits en justice", explique à l'AFP Linnea Arvidsson, qui coordonne les travaux de la Commission d'enquête des Nations unies sur la Syrie (COI).
"L'accent devrait être mis sur ceux qui portent la responsabilité principale des atteintes (aux droits humains Ndlr) commises depuis tant d'années, plutôt que sur les auteurs de moindre envergure", insiste t-elle lors d'un entretien à Genève.
Le président syrien Bachar al-Assad a été forcé de prendre la fuite dimanche après une offensive éclair de groupes rebelles menés par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui ont installé un gouvernement de transition.
La guerre civile et la répression qui a ravagé le pays depuis 14 ans a coûté la vie à 500.000 personnes des dizaines de milliers d'autres sont portées disparues, ont été emprisonnées et torturées.
Les nouveaux dirigeants ont promis de rendre justice aux victimes, en promettant que les responsables impliqués dans la torture des détenus seront punis.
- 11.000 témoignages -
La COI rassemble des preuves des crimes commis en Syrie depuis les débuts de la guerre civile en 2011, et a établi des listes de présumés auteurs.
"Jusqu'à présent, nous avons environ 4.000 noms sur ces listes", indique Mme Arvidsson. Les listes n'ont jamais été rendues publiques, mais les enquêteurs ont partagé des détails avec les procureurs des juridictions qui ont enquêté et engagé des poursuites contre des criminels de guerre syriens présumés.
L'équipe a jusqu'à présent "coopéré à 170 enquêtes criminelles de ce type", conduisant à 50 condamnations pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis en Syrie. Mais pour l'instant les plus hauts responsables n'ont pu être atteints.
"Il y a désormais une opportunité pour qu'ils soient également tenus responsables", souligne t-elle.
Persona non grata sous Bachar al-Assad, la COI espère maintenant pouvoir se rendre en Syrie, après des années d'enquêtes à distance.
"Nous avons documenté plus de 11.000 témoignages de Syriens, principalement des victimes... de violations, des survivants de détention" et des témoins, raconte Mme Arvidsson.
- "Une obscurité profonde" -
L'ouverture des centres de détention confirme les informations amassées par la COI à distance.
Ainsi, les images tournées depuis l'ouverture de la prison de Sayadnaya dans la banlieue de Damas "des pièces en sous-sol, sans fenêtres, sans lumière" et "c'est exactement ce que nous entendons depuis tant d'années de la part des détenus", explique la responsable.
"Certains d'entre eux n'ont pas vu la lumière du soleil pendant des années et des années... Ils décrivent tous cela comme de l'obscurité, une obscurité profonde".
Pour les enquêteurs il s'agit maintenant de préserver les archives, les documents, les dossiers.
"Il est extrêmement important maintenant que ces (dossiers) soient protégés et préservés, idéalement sur le site où ils ont été trouvés, qu'ils ne soient pas déplacés, altérés, perdus, touchés", implore t-elle, rappelant que tout ce que le droit international répertorie comme crime de guerre ou contre l'humanité a été commis en Syrie, y compris le "génocide".
Les disparitions forcées, ont créé "un traumatisme national", selon Mme Arvidsson et donc "il est très important que les gens soient traduits en justice pour cela".
La Commission d'enquête espère maintenant la mise en place d'un processus national pour rendre justice et la reconnaissance de la compétence de la Cour pénale internationale.
"Nous avons le devoir de ne rien négliger dans cette quête", insiste la responsable.