Ouverte le 27 mars 1998 à la suite d'une plainte déposée par la famille du pilote français du Falcon 50, l'enquête a abouti, en novembre 2006, à l'émission de neuf mandats d'arrêt contre des proches du président Paul Kagame.
Dès la présentation du rapport aux parties, le 10 janvier, les autorités rwandaises en ont interprété les conclusions comme exonérant le FPR de toute responsabilité dans l'attentat, et plusieurs médias ont conclu à la culpabilité des extrémistes hutus.
Déroulement de l'expertise: Avant de se rendre au Rwanda du 12 au 17 septembre 2010 pour, notamment, examiner les lieux de tir possibles, les experts ont étudié les pièces de la procédure.
Au nombre de ces pièces se trouve une lettre du pilote décédé du Falcon 50, Jean-Pierre Minaberry, qui exprime ses craintes après avoir appris que le FPR était entré en possession de missiles SA7.Un ancien lieutenant des FAR, russophone, dit pour sa part avoir eu entre les mains les tubes lance-missiles (soviétiques) et donne leurs numéros de série.
Les témoignages de plusieurs transfuges du FPR, recueillis en 2003 et 2004, attribuent l'attentat au FPR (certains témoins se sont cependant récusés par la suite). Un rapport établi par une commission d'enquête officielle rwandaise, diffusé en 2009, incrimine en revanche les FAR.
Après lecture des pièces, les experts retiennent six zones de tir potentielles. Trois de ces zones sont dans le secteur du camp militaire de Kanombe, qui abritait notamment le bataillon parachutiste et jouxtait la villa de Juvénal Habyarimana. La quatrième zone, dite « la porcherie », est également proche de la résidence présidentielle. Deux zones se situent dans la plaine de Masaka alors également située en territoire contrôlé par les FAR. La thèse du juge Bruguière est que des éléments du FPR auraient réussi à s'y infiltrer depuis leur cantonnement officiel pour abattre l'avion.
Lors de leur déplacement au Rwanda, les experts entendent douze témoins et effectuent, dans les six zones retenues, les relevés géométriques, topographiques, acoustiques, nécessaires pour tester leurs différentes hypothèses. L'expertise aboutit aux conclusions suivantes :
Détermination de l'arme utilisée :partant de 53 possibilités, l'expertise procède par élimination. Certaines armes sont écartées en raison de la date de leur mise en service, d'autres parce qu'elles ne correspondent pas au type d'impact relevé sur les débris de l'avion, ou bien qu'elles ne peuvent être utilisées de nuit.
Seul le missile sol-air de fabrication soviétiqueSA16 est finalement retenu. Les experts précisent qu'il y avait deux tireurs, éloignés d'une vingtaine de mètres, chacun ayant tiré un missile.
Ils ajoutent que "leur prise de position n'a pas été influencée par la découverte, dans la zone de Masaka, de deux tubes de lancement de missiles SA16", se référant implicitement au témoignage livré en 1999 - et de fait validé - de l'officier russophone des FAR.
Ils rappellent enfin que « la mise en œuvre de ce matériel sol-air nécessite une préparation et un entraînement sérieux. Ce n'est pas un « amateur » ou un néophyte qui peut utiliser correctement ces missiles. Comme nous l'avons précédemment indiqué, 70tirs d'entraînement, soit 50 à 60 heures, sont nécessaires pour une bonne compréhension du système d'arme afin de devenir un tireur opérationnel.»
Détermination de la zone de tir la plus probable : les experts estiment que les positions de tirs de Masaka sont idéales : « C'est à partir de ces deux positions que la probabilité d'atteinte est la plus élevée de toutes les positions de tirs étudiées », relèvent-ils.
Les positions de Kanombe sont moins bonnes :« La probabilité d'atteinte de l'avion est moins élevée que celle des configurations de tirs Masaka. Elle était suffisante pour que, sur les deux missiles tirés, l'un d‘eux puisse toucher l'avion ».
Cependant, Masaka est finalement écarté: un tir depuis ce lieu aurait percé le réacteur gauche, et n'aurait pas percuté le dessous de l'aile, notent les experts. Surtout, le tir n'aurait pas été entendu de la façon décrite par les témoins de référence du dossier, à savoir un couple belge et leurs invités, qui dinaient ce soir- là dans leur maison située à l'intérieur du camp militaire de Kanombe.
Le rapport conclut : « Le faisceau de points de cohérence qui se dégage des études que nous avons conduites nous permet de privilégier comme zone de tir la plus probable, le site de Kanombe (...) Le fait que nous privilégiions ces deux positions ne signifie pas que les missiles n'ont pas pu être techniquement mis en oeuvre dans un périmètre un peu plus étendu. Nous considérons qu'une zone étendue vers l'Est et le Sud, de l'ordre d'une centaine de mètres voire plus, sous réserve d'avoir un terrain dégagé vers l'axe d'approche de l'avion, peut être prise en compte ».
Cette marge d'appréciation est importante puisqu'elle permet d'envisager que les tireurs aient été postés à l'extérieur de l'enceinte du camp militaire de Kanombe.
Les cinq experts commis devaient remettre leur copie en mars 2011. Après plusieurs reports et l'ajout d'un acousticien, la version finale a été livrée aux magistrats le 5 janvier 2012. Les partie sont trois mois pour remettre leurs observations. Les sept inculpés restent pour le moment mis en examen.
GF/ER/JC
© Agence Hirondelle