Décision mercredi sur l'appel du renvoi aux assises d'une Française pour génocide sur la minorité yazidie

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La cour d'appel de Paris rend mercredi sa décision sur la tenue du procès pour génocide et crimes contre l'humanité sur la minorité yazidie contre une "revenante" de Syrie, ex-épouse d'un émir du groupe Etat islamique (EI).

Jusqu'à maintenant, les Françaises revenues de zones jihadistes ont été jugées pour infractions terroristes (ralliement à l'Etat islamique, détention d'armes...). Si le procès est maintenu, Sonia Mejri sera la première à être également renvoyée pour génocide et crimes contre l'humanité.

Cette Française de 35 ans, née à Grenoble, est accusée d'avoir participé au génocide des Yazidis, minorité ethnoreligieuse kurdophone, en réduisant à l'esclavage l'une des leurs en 2015 en Syrie.

Devant la cour d'appel en décembre, sa défense a contesté ces accusations, arguant que les investigations n'avaient pas permis d'établir d'acte matériel de génocide, d'intention génocidaire, ni d'acte de provocation ou d'aide à commettre ces crimes.

"Il est inacceptable que le parquet national antiterroriste veuille faire de Sonia Mejri un exemple pour montrer la solidarité de la France envers les Yazidis", a fustigé lundi auprès de l'AFP son avocat, Nabil Boudi.

"Ma cliente est anéantie d'être l'objet de telles accusations et a toujours montré sa solidarité envers les minorités", a-t-il assuré.

- "Garante de l'enfermement" -

Au cours de l'enquête, Sonia Mejri a révélé à la justice la présence chez elle d'une adolescente yazidie: incarcérée à son retour en France pour infractions terroristes, elle en parlait à sa conseillère pénitentiaire lors d'un entretien en juillet 2021.

Elle se défendait ensuite de toute infraction: son ex-mari, Abdelnasser Benyoucef, un Franco-Algérien cadre de l'Etat islamique, était le "propriétaire", elle, "n'avait aucun droit" sur la Yazidie.

Face à ces éléments nouveaux, le parquet national antiterroriste (Pnat) élargissait l'enquête. Et en l'absence d'Abeldenasser Benyoucef, présumé mort en 2016 et visé par un mandat d'arrêt, l'information judiciaire se resserait autour de Sonia Mejri.

En septembre 2022, cette dernière était mise en examen pour complicité de génocide (atteintes graves à l'intégrité physique et psychique, soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction d'un groupe...) et complicité de crimes contre l'humanité (réduction en esclavage, emprisonnement, viols...).

En mars 2024, la justice la poursuivait comme autrice, et non plus seulement complice.

En septembre 2024, elle était décrite comme "la garante de l'enfermement" de la Yazidie de 16 ans: elle détenait la clef de l'appartement et portait, selon l'ordonnance de mise en accusation consultée par l'AFP, une arme pour la dissuader de fuir.

- "Un pion dans un procès" -

La parole de la Yazidie est au coeur de ce dossier inédit.

Retrouvée par les enquêteurs, Rafida a affirmé avoir été séquestrée pendant plus d'un mois au printemps 2015 en Syrie, et n'avoir pu ni boire, ni manger ni se doucher sans l'autorisation de Sonia Mejri.

Elle accusait aussi cette dernière de l'avoir violentée et d'avoir été au courant que son mari la violait.

Sonia Mejri doit ainsi être jugée pour complicité de ces viols.

Son témoignage faisait écho à de nombreux rapports d'associations décrivant la stratégie de l'EI pour s'attaquer aux Yazidis: marchés aux esclaves, instauration d'un "département des butins de guerre"...

Toutefois, plusieurs sources proches du dossier ont estimé auprès de l'AFP que la force de preuve des accusations de la plaignante restait limitée.

La défense de Sonia Mejri jugeait ses déclarations trop "évolutives et parfois incohérentes" pour soutenir un procès aux assises.

La perspective de ce procès interroge aussi l'avocat de Rafida: qu'y gagne réellement sa cliente ?

"La justice française veut montrer qu'elle peut juger de crimes contre l'humanité commis en Syrie, mais je refuse que ma cliente soit utilisée comme un pion dans un procès qui ne respecterait pas pleinement sa souffrance", a déclaré lundi Romain Ruiz.

"Même si elle est reconnue victime, Rafida ne pourra pas bénéficier de fonds d'indemnisation: elle n'est pas Française et les faits n'ont pas été commis en France", a poursuivi l'avocat, appellant à modifier les conditions d'octroi.

Rafida, qui compte témoigner à l'audience, "attend beaucoup de la France pour lui permettre de vivre une nouvelle vie": à 26 ans, elle projette de s'installer au Canada pour ouvrir un salon de beauté.