Sonia Mejri devait être la première "revenante" française de Syrie à comparaître à Paris pour génocide sur la minorité yazidie, mais la justice française a décidé mercredi d'abandonner ces poursuites, et ordonné son procès pour infractions terroristes et complicité de crimes contre l'humanité.
Sonia Mejri, née à Grenoble (centre-est) et âgée de 35 ans, n'est donc plus renvoyée à titre "d'auteure principale" pour génocide et crimes contre l'humanité, a expliqué la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris au moment du délibéré.
Elle sera toutefois jugée, devant la cour d'assises spéciale de Paris, pour complicité de viols constitutifs de crimes contre l'humanité, imputés à son ex-mari Abdelnasser Benyoucef, et pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Elle est en détention provisoire.
Son ex-compagnon, un émir du groupe Etat islamique présumé mort en 2016 et visé par un mandat d'arrêt, sera lui jugé par défaut pour auteur de génocide et de crimes contre l'humanité sur les Yazidis, minorité ethnoreligieuse kurdophone.
Il est aussi renvoyé pour direction d'une association de malfaiteurs terroriste criminelle.
"Les magistrats de la chambre de l'instruction ont jugé en droit, sans céder à la pression du politique" dans ce dossier sensible "où la France voulait montrer sa solidarité avec la minorité yazidie", ont réagi auprès de l'AFP les avocats de Sonia Mejri, Nabil Boudi et Marceau Perdereau.
Romain Ruiz, avocat de la plaignante yazidie, a salué auprès de l'AFP une décision "parfaitement équilibrée et juridique" de la chambre de l'instruction. "Il faut évidemment s'en réjouir tant elle garantit les intérêts de toutes les parties", a-t-il ajouté.
- Désaccord entre magistrats -
En septembre, un magistrat instructeur avait ordonné le renvoi d'Abdelnasser Benyoucef et de Sonia Mejri, les soupçonnant d'avoir réduit en esclavage, au printemps 2015, une Yazidie âgée de 16 ans.
M. Benyoucef "savait qu'en acquérant" la Yazidie "et en la soumettant à un enfermement, à des viols répétés et à des privations graves, il participait à l'attaque dirigée par l'EI (Etat islamique) contre la communauté yézidie", avait justifié le magistrat.
Et Sonia Mejri devait être également jugée comme "garante de l'enfermement" de la jeune yazidie: elle détenait la clef de l'appartement et portait, selon l'ordonnance de mise en accusation consultée par l'AFP, une arme pour la dissuader de fuir.
Mais déjà ces chefs de renvoi faisaient débat.
L'ordonnance rendue n'était pas signée de la seconde magistrate chargée des investigations et spécialisée dans les contentieux de crimes contre l'humanité, révélateur de son désaccord.
La défense de Sonia Mejri avait fait appel.
Lors d'une audience en décembre, elle arguait que les investigations n'avaient pas permis d'établir d'acte matériel de génocide, d'intention génocidaire, ni d'acte de provocation ou d'aide à commettre ces crimes.
Mes Nabil Boudi et Marceau Perdereau évoquaient aussi des déclarations "évolutives et parfois incohérentes" de la plaignante.
- "Instrument de guerre" -
La parole de la jeune yazidie est au coeur de ce dossier inédit.
Retrouvée par les enquêteurs, la plaignante a affirmé avoir été séquestrée pendant plus d'un mois au printemps 2015 en Syrie, et n'avoir pu ni boire, ni manger, ni se doucher sans l'autorisation de Sonia Mejri.
Elle accusait aussi cette dernière de l'avoir violentée et d'avoir été au courant que son mari la violait quotidiennement.
Son témoignage faisait écho à de nombreux rapports d'associations décrivant la stratégie de l'EI pour s'attaquer aux Yazidis: marchés aux esclaves, instauration d'un "département des butins de guerre"...
Sauf que le dossier manquait d'éléments pour attribuer à Sonia Mejri une "intention génocidaire" et prouver qu'elle ait été "un rouage tangible" de ces exactions planifiées, selon une source proche du dossier.
Sa seule appartenance à l'EI ne suffit pas à lui imputer une adhésion au génocide des Yazidis, ont expliqué à l'AFP plusieurs sources.
En revanche, Sonia Mejri a reconnu que son mari avait violé "une fois" l'adolescente - la revenante sera ainsi jugée pour complicité.
Pour l'avocate de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), partie civile, malgré l'abandon de certaines poursuites à l'égard de Sonia Mejri, cette décision reste majeure, notamment à l'encontre de M. Benyoucef.
La cour d'appel entérine la reconnaissance des viols comme "un instrument de guerre" et comme "un élément important des crimes contre l'humanité", a déclaré Me Ilana Soskin.
Pour Inès Davau, avocate représentant l'association Equipes d'action contre le proxénétisme (EACP), la justice française "s'inscrit dans la continuité des autres juridictions européennes" en reconnaissant "l'existence d'un lien entre les activités de l'État Islamique et des crimes contre l'humanité à caractère sexuel".