Eternels rivaux, nouveaux alliés: les relations se redessinent en Asie du Sud

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Les vieilles rivalités entre l'Inde et le Pakistan refont bouger l'échiquier diplomatique en Asie du Sud: pendant que New Delhi tend la main aux talibans d'Afghanistan, Islamabad se rapproche des nouveaux dirigeants du Bangladesh.

Depuis 1947 et leur partition, les deux puissances nucléaires se sont livré trois guerres et continuent à s'opposer sur tous les fronts, façonnant la carte géopolitique de la région.

Les épisodes de tension alternent avec les séquences de détente, mais la méfiance reste de mise.

En janvier encore, New Delhi a rejeté les accusations d'Islamabad lui reprochant de cibler des militants anti-indiens sur son sol.

"On ne peut pas avoir des serpents dans son jardin et s'attendre à ce qu'ils mordent uniquement ses voisins", a répondu le porte-parole du ministère indien des Affaires étrangères, Randhir Jaiswal.

L'hostilité des deux pays est une constante mais autour d'elle, le paysage diplomatique a bougé.

"La région a été le théâtre de bouleversements diplomatiques", résume Michael Kugelman, du centre de réflexion Wilson Center à Washington.

"Ils sont le résultat de deux événements marquants: la fin de la guerre en Afghanistan et la fin du règne de Sheikh Hasina (au Bangladesh)", détaille-t-il, "les deux ont eu un impact majeur sur les autres pays".

Depuis le retour au pouvoir des talibans en 2021, les relations entre Islamabad et Kaboul n'ont cessé de se dégrader. Le premier reproche au second sa complaisance vis-à-vis des islamistes qui ont tué des milliers de membres de ses forces de sécurité.

- "Contrarier le Pakistan" -

La ferveur islamique radicale des talibans s'oppose frontalement à l'ultranationalisme hindou du Premier ministre Narendra Modi, mais New Delhi y voit une opportunité.

"L'Inde poursuit invariablement cette même voie", note Hassan Abbas, professeur de relations internationales à la National Defense University de Washington.

"Elle ne veut pas que les talibans laissent la place à un groupe qui, à terme, constituerait une plus grande menace", estime-t-il, et "contrarier le Pakistan" n'est pas pour lui déplaire.

Début janvier, un haut responsable du ministère indien des Affaires étrangères, Vikram Misri, a rencontré Amir Khan Muttaqi, le ministre des Affaires étrangères des talibans, à Dubaï.

New Delhi est déterminé à "renforcer sa relation de longue date avec le peuple afghan", a expliqué le porte-parole du ministère.

Son homologue afghan Hafiz Zia Ahmad a en retour "exprimé l'espoir d'un renforcement des relations" bilatérales.

Signe de ce rapprochement, l'Inde veut consacrer les 370 millions de dollars investis dans le port iranien de Chabahar, à 1.850 km de Kaboul par la route, à "soutenir les échanges et les activités commerciales" vers l'Afghanistan, selon M. Jaiswal.

Chabahar est situé à l'est du port pakistanais de Gwador, considéré comme une pierre angulaire des Nouvelles routes de la soie promues par la Chine.

"Bien qu'elle ne reconnaisse pas officiellement le gouvernement taliban, l'Inde comprend l'importance de maintenir une présence en Afghanistan", a souligné dans un éditorial le Times of India, qui y voit sa volonté de contrer l'influence de Pékin.

- "L'ennemi de mon ennemi..." -

Parallèlement, le Pakistan et le Bangladesh ont recommencé à tisser des liens "amicaux".

Ces deux pays ont formé une seule nation jusqu'à une guerre d'indépendance dévastatrice en 1971. Après ce conflit, le Bangladesh s'est rapproché de l'Inde, ennemi juré du Pakistan.

Mais la "révolution" d'août 2024 a changé la donne.

L'ex-Première ministre Sheikh Hasina est tombée et est partie pour l'Inde, qui reste sourde aux demandes d'extradition du Bangladesh, qui veut la juger pour crimes contre l'humanité.

Les relations entre les deux voisins restent tendues, nourries par une succession d'incidents entre communautés musulmanes et hindoues.

Pendant ce temps, Dacca a amorcé un rapprochement avec Islamabad.

En novembre, le premier cargo à naviguer directement du Pakistan au Bangladesh depuis des décennies a déchargé des conteneurs dans le port de Chittagong.

Et lorsqu'il a rencontré en décembre le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif, le chef du gouvernement provisoire bangladais Muhammad Yunus a souligné sa volonté de "renforcer les relations" entre leurs deux pays.

"Ce rapprochement du Pakistan illustre l'adage +l'ennemi de mon ennemi est mon ami+", commente Amena Mohsin, professeure de relations internationales à l'université de Dacca.

"Mais", prévient-elle aussitôt, "il ne durera que si nous obtenons les excuses d'Etat que nous exigeons (depuis 1971, ndlr). La réconciliation ne pourra être envisagée qu'à partir de cet instant".

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