Règlement de comptes au Kasaï

Le procès en appel pour le meurtre du chef Mbangu, en 2017 à Masuika, dans la province du Kasaï Central, en République démocratique du Congo, s’est achevé le 7 mars. Les deux accusés, condamnés à mort en première instance, se sont chargés mutuellement lors des audiences qui se sont tenues sur les lieux du crime, devant la justice militaire congolaise et devant la population locale. Le ministère public a demandé la confirmation de la peine capitale. Le verdict est attendu ce 10 mars.

Dans la région du Kasaï, en République démocratique du Congo, le verdict se confirme en appel pour deux accusés, ex miliciens Kamuina Nsapu, lors d'un procès pour crimes de guerre. Photo : les deux accusés posent sous une tente installée à l'occasion d'une audience foraine dans un village ont eu lieu les crimes.
Marcel Tshilumba, « deux mètres de taille, brun, 32 ans d’âge », et Emmanuel Mukini, « un jeune homme d'une trentaine d'années aisément », sont jugés pour le même meurtre et s’accusent mutuellement devant le tribunal militaire en audience foraine dans le Kasaï Central, en République démocratique du Congo. Photo : © Joseph Mbuyi
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C’est une situation délicate pour les équipes de défense de Marcel Tshilumba et d’Emmanuel Mukini. Les deux hommes ont été condamnés à mort en 2023, à l’issue d’un procès en première instance devant la justice militaire congolaise. Ils sont accusés d’être responsables du meurtre d’un chef traditionnel, Chef Mbangu, et de son atroce démembrement en public, dans la ville de Masuika, en 2017, au cours du conflit dit de Kamuina Nsapu, qui a ensanglanté le Kasaï, en République démocratique du Congo (RDC), entre 2016 et 2019. Mais en essayant de sauver leur tête, lors d’un procès en appel qui s’est tenu sur les lieux du crime, du 3 au 7 mars, ils se sont accusés mutuellement.

« Pour préserver ma vie, j'ai adhéré au mouvement Kamuina Nsapu, j'ai été forcé. Celui qui résistait était tué. C'est Marcel Tshilumba, alias le Blanc, le seigneur de guerre, qui m'a donné l'ordre de décapiter le Chef Mbangu. C'est lui qui l'a amené avec un groupe d'autres miliciens. Ce jour-là, j'étais du côté du marché à Masuika. Les parties du corps humain du chef coupées (tête, sexe et bras) ont été récupérées par Marcel Tshilumba pour une destination inconnue », raconte Mukini, un jeune homme d'une trentaine d'années aisément. Mukini est accusé d’avoir, après que Tshilumba eut tiré sur Chef Mbangu, décapité la victime, avant de mutiler son corps. Il est en prison depuis huit ans. « Nous plaidons coupable, notre client a coopéré avec la justice en disant devant la cour la vérité de ce qui s'est concrètement passé le mercredi 6 mai 2017 », plaide l’un de ses avocats. « Nous demandons pardon à la cour. Ce n'est pas un crime, ce n'est pas une infraction si la cour pardonne notre client », avance son second avocat.

Avec les conseils de la défense de Tshilumba, le débat est houleux. Les avocats de ce dernier reconnaissent que c'est leur client qui a fait monter le chef Mbangu sur le podium, mais ils disent que c'est quelqu'un d'autre qui a appuyé sur la détente. « Il n'existe aucune preuve qui montre notre client en train de tirer sur le Chef Mbangu », argue l’un de ses avocats. De fait, s’il existe une vidéo du crime, prise par un habitant dans la foule, où l’on voit Mukini profaner le corps du Chef Mbangu, on ne voit pas directement Tshilumba tirer le coup de feu qui aurait tué Mbangu juste avant. Alors que de nombreux témoins et Mukini lui-même affirment bien que c’est lui. Le prévenu Tshilumba se dédouane de tout. Selon lui, ce sont certains chefs coutumiers qui étaient responsables du mouvement insurrectionnel dans ce coin, tandis que lui n'était qu'un simple chauffeur. « Je n'ai jamais tiré sur le chef. J'ai cité quatre autres chefs coutumiers, j'ai sollicité leur comparution, pourquoi ne répondent-ils pas ? » s'interroge Tshilumba, deux mètres de taille, brun, 32 ans d'âge.

Au sujet d'autres crimes allégués – notamment incendie, vols, viols, pillages et association de malfaiteurs – la défense de Tshilumba relève également l'absence de preuves. « Notre client était venu dans ce village pour les affaires. Certains témoins ont développé une jalousie contre lui alors qu'il n'y était pour rien », conclut-elle.

Quatre avocats des parties civiles au procès d'ex-miliciens Kamuina Nsapu au Kasaï (RDC) pour crimes de guerre.
Pour les avocats des parties civiles – dont Cédric Nsenda (deuxième en partant de la gauche) et Jean Jacques Sanzandji (dernier à droite) – le procès de Tshilumba et Mukini est « un aboutissement heureux ». Photo : © Joseph Mbuyi

Histoire d’une vidéo

Au sein de la population qui assiste en nombre au procès, les avis sont partagés. « Personne n'a adhéré à ce mouvement de son plein gré. Ils ont été tous forcés. Je demande à la cour de veiller à cette réalité », explique une femme dans l’assistance. « Ce garçon nous a fait souffrir dans cette cité, c'est lui qui dictait la loi. Il pouvait dire : « Aujourd'hui, personne ne prépare la nourriture ». Il doit subir la rigueur de la loi », explique un des notables de la contrée.

Hors audience, l'avocat des victimes Cédric Nsenda se présente comme le déclencheur du procès alors que les victimes ne savaient pas par où commencer. Il se jette des fleurs pour ce qu'il appelle un « aboutissement heureux ». « Je suis le premier avocat qui a constitué le dossier, j'ai payé les frais de justice pour que le dossier soit aligné au premier degré alors que je ne connaissais personne dans ce coin. C'est après que j'ai rencontré les 283 victimes et le Chef Mbangu Stanis [fils du chef assassiné et témoin au procès] pour constituer les parties civiles. Ils ont cru en moi, nous l'avons remporté au premier degré, je l'espère également au second ici, parce que tous les moyens présentés sont en faveur de victimes », explique cet avocat du barreau du Kasaï Central, dans un échange avec Justice Info. « Notre première rencontre avec les victimes était historique. J'ai trouvé un peuple sans espoir. Certains avaient déjà repris leurs activités. J'ai documenté différents cas de viols, vols, incendies, pillages. J'ai passé à peu près 7 jours dans ce village. Ce mouvement [Kamuina Nsapu] avait tout détruit. Les victimes ont reconnu les auteurs et aujourd'hui ils comparaissent », se félicite-t-il. « La vidéo, je l'ai eue au Lualaba [province voisine du Kasaï Central], auprès d'un monsieur après plusieurs jours d'enquête. Il ne voulait pas céder, mais était prêt à coopérer s'il était en état d'ivresse. Nous lui avons coulé à boire jusqu'à ce que nous ayons récupéré la vidéo. J'étais accompagné d'un confrère. C'est la preuve irréfutable. Les deux prévenus ne pouvaient pas s'imaginer qu'il y avait cette cartouche. Aujourd'hui, j'attends les condamnations de Tshilumba et Mukini. »

Avocat et victime

Jean Jacques Sanzandji est un autre avocat des parties civiles. Lui a tout subi pendant l'insurrection de la milice Kamuina Nsapu à Masuika. Il est natif du coin et reconnaît avoir eu la vie sauve grâce à l'intervention des forces armées. « Quand il y a eu des affrontements, j'ai fui dans la brousse. Après trois jours, en voulant sortir, j'ai été intercepté par les miliciens qui voulaient ma mort parce qu'eux tuaient sans distinction. Mais l'un d'eux a dit que c'est le seul avocat que nous avons dans la cité, qu’il faut le protéger. C'est alors que j'ai été sauvé. Et quand j'ai rencontré les militaires, heureusement pour moi je parlais swahili, ils m'ont protégé, nous avons enterré avec eux 280 personnes. C'était horrible », raconte-t-il. « J'ai vécu les faits, je suis avocat mais la population de Masuika sait qui a tué le chef Mbangu, qui était le responsable de la milice ici. Nous avons accueilli hospitalièrement un jeune commerçant habillant, qui s'est transformé en tueur, pilleur par la suite. Nous sommes contents du déroulement du procès. Nous pensons que les coupables seront punis conformément à la loi », martèle t-il.

Le procureur militaire a requis la peine capitale pour les deux hommes, c’est-à-dire la confirmation du jugement en première instance. Le verdict avait été annoncé pour le 7 mars, mais il a finalement été reporté au 10 mars. Cela n'a pas enchanté la population. Pourtant la loi accorde huit jours à la cour pour accomplir son délibéré, a expliqué le premier président de la cour militaire de l'ex-Kasaï Occidental, le colonel Innocent Mayembe.

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