Le 10 mars, la cour militaire du Kasaï Central a condamné à 20 ans de prison, en appel, les deux hommes poursuivis pour le meurtre d’un chef traditionnel en mai 2017. Chef Mbangu avait été assassiné et son corps démembré par des miliciens du groupe d’insurgés Kamuina Nsapu. Marcel Tshilumba et Emmanuel Mukini ont été définitivement reconnus coupables de crime de guerre, sur la base d’une vidéo du crime, de nombreux témoignages et après que les deux accusés se sont mutuellement accusés de ces atrocités. Mais alors que le tribunal les avait condamnés à mort en première instance, la cour d’appel a nettement réduit leur peine. Les deux condamnés devront également payer en dommages la grosse somme de 80.000 dollars, en francs congolais.
Les juges ont donc tenu compte de circonstances atténuantes liées à leur jeune âge au moment de faits, au fait que ce soit une première offense, au bas niveau d’instruction et à l’influence du milieu. Chez chacune des parties, c’est le mot « soulagement » qui domine. « Nous avons un sentiment mitigé. C’est un soulagement pour nous, mais la peine est encore lourde », déclare Alidor Mampuya, avocat de Tshilumba. « Nous sommes totalement soulagés des condamnations. Nous croyons que nos clients seront remis dans leurs droits. Nous disons félicitations à la cour pour ce travail de qualité, rendu en foraine ici à Masuika », dit Samy Lukusa, l’un des avocats des parties civiles.
L’insurrection Kamuina Nsapu a ensanglanté cette région entre 2016 et 2019. Les crimes commis pendant cette guerre ont fait l’objet de plusieurs procès devant les tribunaux militaires de la République démocratique du Congo (RDC). Ainsi, du 3 au 10 mars, juges, procureurs et avocats se sont retrouvés pour juger les faits au milieu de la population victime. Toute la semaine, les habitants de Masuika, petite ville du Kasaï Central, se sont déplacés en nombre pour assister aux audiences. Car parallèlement au procès des meurtriers de Chef Mbangu, la cour militaire en a tenu un autre, où quatre individus étaient poursuivis pour le meurtre de deux élèves, à la même époque dans cette même ville alors prise dans le conflit.

Katuala Katuala, Robot Lushimba (surnommé ainsi parce qu’il était un chauffeur de taxi qui ne se fatiguait pas, selon la population), François Kamilonga et Munyinyi Musapu ont déjà été condamnés à la prison à perpétuité, lors d’un procès en première instance, pour association de malfaiteurs, participation au mouvement insurrectionnel et crime de guerre pour meurtre. Un cinquième suspect, Milonga, est toujours en fuite. Les faits se sont déroulés en mai 2017 lors de l’entrée de la milice Kamuina Nsapu dans la contrée. Un jeune adolescent, élève « finaliste » comme on dit ici (c’est-à-dire en Terminale) a alors été envoyé par ses parents pour acheter du café à Wulongo, un village voisin de Masuika. Le garçon a invité un camarade à lui tenir compagnie pour aller faire cette course. Mais les deux élèves – dont les noms n’ont jamais été divulgués par la cour – ont été interpellés par un groupe de miliciens, des hommes du coin qui se retrouvent donc aujourd’hui à être jugés devant leur communauté.
Pourquoi avoir rejoint l’insurrection ?
Quand la mère du garçon a appris la nouvelle de son arrestation, elle s’est déplacée pour plaider auprès des miliciens afin que son fils et son ami retrouvent la liberté. La demande a été rejetée et la population a été dispersée par un coup de feu en l’air. Selon la mère, dont le témoignage en première instance sous le pseudonyme TB a été rappelé par un avocat puisqu’elle n’a pas voulu revenir à la barre en appel, même le chef du village est intervenu pour la libération des deux garçons, sans succès. Paniqués, les parents du garçon ont débloqué une somme d’argent qui a été remise à un certain Milonga, en cavale à ce jour, pour solliciter la libération de ces enfants. Sans résultat. De retour chez eux, ce n’était que désespoir. Les enfants ont été acheminés ailleurs. Ils n’ont jamais été revus et sont présumés morts assassinés.
C’est en 2018, alors que les forces armées congolaises contrôlaient la situation à Masuika, que les parents de ce garçon disparu ont vu Katuala, l’un des miliciens qui avaient arrêté leur enfant selon eux, circuler en homme libre. Ils ont alerté les autorités et ce premier suspect a été arrêté. A son audition, Katuala a cité trois autres individus : Kamilonga, Musapu et Lushimba, qui furent tous arrêtés. Avant d’être jugés et condamnés à la perpétuité par le tribunal militaire de garnison, en octobre 2023.
Au cours de ce procès en appel, la cour a demandé à chacun des prévenus d’expliquer ce qui les a poussés à adhérer à ce mouvement rebelle. Pour Katuala, ce sont les souffrances de sa famille, le manque d’argent, de nourriture, l’espoir d’y trouver un moyen de gagner sa vie. Kamilonga, qui clame son innocence dans ce dossier, affirme avoir adhéré au mouvement Kamuina Nsapu pour se faire soigner de la hernie qui le dérangeait depuis plusieurs années. Pour Musapu, c’était par contrainte, pour ne pas perdre la vie. Il avait été identifié comme swahiliphone par la milice. Or, tous ceux qui parlaient une langue autre que le tshiluba et les dialectes de la région étaient suspectés d’être des ennemis, dans le camp du pouvoir de Kabila que la milice combattait. Musapu a donc préféré accepter de rejoindre le mouvement, raconte-t-il.
La mère de Lushimba et son épouse étaient présentes à l’audience. Elles ont souhaité faire leurs dépositions sans être protégées. Lushimba « a été contraint de rejoindre la milice, il n’était pas là quand les deux adolescents ont été arrêtés », affirme sa mère. « Il était d’ailleurs aussi dans la brousse, il avait fui, comme on le cherchait pour le tuer étant donné qu’il parle swahili. Quand il est sorti, il a trouvé un vélo qui appartiendrait aux enfants capturés et qu’il a remis au propriétaire. Voilà pourquoi il a été arrêté. Il ne connaît rien », ajoute son épouse.
Lushimba, Kamilonga et Musapu ont tous chargé Katuala et Milonga, le fugitif. Ils affirment que ce sont ces deux-là qui auraient arrêté et tué les deux élèves. Katuala rejette l’accusation et clame son innocence.
Débats sur les responsables et sur la procédure
La procédure en appel n’a pas été dénuée d’une certaine confusion technique. « L’article 464 du code de procédure pénale exige du ministère public d’interjeter appel en cas de condamnation à la peine à perpétuité ou à la peine de mort », a expliqué l’auditeur supérieur militaire au début du procès. Mais lors de son réquisitoire, il a demandé à la cour de déclarer l’appel non fondé et de confirmer le jugement en première instance. C’est ce qui a créé des remous. « On n’a pas compris la position du ministère public. C’est flou. Comment pouvez-vous solliciter l’appel pour exiger que l’œuvre du premier juge soit confirmée ? » s’interroge un étudiant en droit qui assiste au procès. « Nous ne comprenons pas cette attitude du ministère public. Nous pensons que la cour pourrait statuer en tenant compte des moyens soulevés par nous », explique un avocat de la défense qui a requis l’anonymat et estime que le procureur n’a pas bien étudié le dossier. Les conseils des quatre prévenus ont plaidé non coupable et sollicitent la libération pure et simple de leurs clients, pour insuffisance des preuves.
Au sein de la population, le meurtre des élèves est un fait acquis mais le doute semble demeurer sur la responsabilité de chacun des prévenus. « Je ne pense pas qu’eux tous soient impliqués dans cette affaire. Que la cour punisse les vrais coupables », déclare un notable de Masuika. Mais pour Jean Malhis Lungala, avocat des parties civiles, le dossier est clair : « Que les condamnations soient maintenues et que le dommage soit aussi maintenu », a-t-il plaidé à la clôture des audiences.
Finalement, c’est un jugement plein de nuance qu’ont rendu les juges dans ce dossier, le 10 mars. Ils ont d’abord dûment rectifié la qualification du crime : la preuve de la mort des deux adolescents n’ayant jamais été apportée, ils ont requalifié le meurtre en disparition forcée. Puis ils ont corrigé les peines de prison à perpétuité en peines de 20 ans pour Lushimba, 15 ans pour Musapu, 10 ans pour Kamilonga et 8 ans pour Katuala.