Guinée : l’État s’engage à réparer les victimes

L’annonce lue hier soir à la télévision nationale a pris les victimes par surprise : près de huit mois après le verdict, l’État guinéen annonce la prise en charge de l’indemnisation des victimes du massacre du 28 septembre 2009. Le 31 juillet 2024, le tribunal de Dixinn avait condamné les huit accusés à des peines de prison et à payer des réparations importantes, allant de 20.000 à 160.000 euros par victime.

Procès du 28 septembre en Guinée : suite à l'annonce du gouvernement, les victimes dans l'attente effective des 'réparations' (compensations financières). Photo : vue de l'extérieur du nouveau palais de justice de Conakry lors de son inauguration le 28 septembre 2022.
Médias et invités se rassemblent devant le nouveau palais de justice à Conakry, capitale de la Guinée, le 28 septembre 2022, lors de l’ouverture solennelle du procès du massacre du 28 septembre 2009. Photo : © Cellou Binani / AFP
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Il était tard hier soir mercredi 26 mars 2025, lorsque le général Amara Camara, secrétaire général de la présidence de la République, est apparu en uniforme sur les écrans des foyers de Guinée, pour lire le décret présidentiel annonçant que « l’intégralité des frais d’indemnisation des frais d’indemnisation des victimes du procès relatif au massacre du 28 septembre 2009 sera couverte par le budget national ». La décision est motivée par « un souci de justice sociale, de réconciliation nationale et de réparation des préjudices », et le premier ministre, les ministres de la Justice, de l’Économie et des Finances et du Budget sont chargés « chacun en ce qui le concerne, de l’application rigoureuse du présent décret » signé par le président de la transition Mamadi Doumbouya, conclut le représentant de la junte militaire au pouvoir.

L’annonce télévisée d’une minute quarante seconde a surpris les victimes, qui les jours précédents exprimaient encore leur dépit à Justice Info :

« Depuis que le verdict est tombé, on ne nous a rien dit. Aucun retour pour le moment », constatait Fatoumata Barry, une des nombreuses femmes victimes de violences sexuelles lors du massacre du 28 septembre 2009 en Guinée. C’est aussi la seule qui, au cours du procès, a accepté de faire sa déposition à visage découvert. A la barre, elle a voulu exposer sans fards la manière dont les militaires qui ont fait irruption au stade ont perpétré ces agressions sexuelles.

En tant que victime de viol, Barry est censée recevoir 1,5 milliard de francs guinéens (160.000 euros) en guise de réparations selon le barème indiqué par le tribunal. Cependant, près de huit mois après le verdict, elle n’en a toujours pas vu la couleur. « Nous avons seulement appris qu’il y a une démarche administrative à mener et puis qu’il y a des avocats qui ont exercé des voies de recours », confie Barry, dépitée. « Mais jusqu’à maintenant, rien n’a été fait. »

Des indemnisations allant de 20.000 à 160.000 euros

Au terme du procès dit du 28 Septembre, le 31 juillet 2024, le tribunal criminel de Dixinn a condamné solidairement les accusés Moussa Dadis Camara, Moussa Tiegboro Camara, Aboubacar Diakité dit Toumba, Marcel Guilavogui, Claude Pivi, Blaise Goumou, Mamadou Aliou Keïta, Paul Mansa Guilavogui. Après 22 mois de procès, la cour et son président, le juge Ibrahima Sory 2 Tounkara les ont reconnus coupables du massacre de manifestants au grand stade de Conakry en 2009, pour des faits requalifiés en cours de procès en crimes contre l’humanité.

Ce feuilleton judiciaire a exposé l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire contemporaine de la Guinée. Le 28 septembre 2009, l’opposition préparait une manifestation contre l’éventuelle candidature du capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte d’alors. Ce rassemblement, dans le plus grand complexe sportif de Guinée, tourne au drame lorsque des agents des forces de sécurité ouvrent le feu sur la foule. Au moins 156 personnes sont tuées, par balle, au couteau, à la machette ou à la baïonnette, et des centaines d’autres blessées, selon le rapport d’une commission d’enquête internationale mandatée par l’Onu. Au moins 109 femmes sont violées. Les exactions, qui ont fait un nombre de victimes probablement plus élevé, ont continué durant plusieurs jours contre des femmes séquestrées et des détenus torturés.

Les huit hommes ont écopé de peines de prison allant de 10 ans à la perpétuité. Mais ils ont aussi été condamnés à payer aux victimes les montants suivants : 1 milliard 500 millions de francs guinéens (160.000 euros) par cas de viol, 1 milliard de francs guinéens (environ 105.000 euros) par cas de mort et de disparu, 500 millions de francs guinéens (environ 53.000 euros) par cas de pillage, 200 millions de francs guinéens (environ 21.000 euros) par cas de torture et de coups et blessures volontaires. Or, bien que le tribunal ait ordonné l’exécution provisoire de sa décision, rien n’a été fait au sujet des dommages et intérêts dus aux nombreuses victimes.

Lenteur de la justice

Pour Barry et les autres victimes, près de quinze ans après les violences subies, il y a urgence. « Il y a des situations très critiques. Et ces situations risquent d’aller de mal en pis s’ils nous disent d’attendre la décision finale dans ce dossier pour indemniser les victimes », souligne-t-elle. « Mais puisque c’est une affaire de justice, on continue de prendre notre mal en patience. Parce que même nos avocats, parfois, ils ne sont pas accessibles. ».

Mamadou Baïlo Bah, lui, n’était pas au stade le 28 septembre 2009. Cependant, il est aussi une victime. Dans le procès, il s’est constitué partie civile pour avoir perdu son père biologique au stade. Au fil du temps, il a été élu président de l’Association des familles des disparus du 28 septembre 2009. Ce jeune homme est dans la catégorie des victimes devant recevoir 1 milliard de francs guinéens en réparation. Comme Barry, il n’a pas été dédommagé jusqu’ici.

« Je pense que cela démontre une fois de plus la lenteur de la justice face à nos préoccupations. Aujourd’hui nous tenons à ce que les victimes puissent vraiment bénéficier de ces réparations, parce que c’est un droit absolu pour nous », estime-t-il. Et de poursuivre : « Le plus grand problème dans cette situation est qu’il n’y a pas de communication entre nous et nos avocats. Il faut le reconnaître. Il n’y a pas non plus de communication entre les victimes et ceux-là qui sont censés nous donner des informations réelles par rapport à l’évolution de la procédure judiciaire. Je veux parler de l’appareil judiciaire. Ce qui fait que plusieurs victimes se sont découragées. »

Procès en appel non programmé

Du 28 septembre 2022 au 31 juillet 2024, durant les près de deux années du procès en première instance, plusieurs avocats ont œuvré aux côtés des victimes. 

C’est le cas de Me Alpha Amadou DS Bah, coordinateur des avocats de la partie civile. « Après plus d’une décennie de lutte acharnée des victimes, des associations qui les accompagnent, un jugement a été rendu contre les accusés Moussa Dadis Camara et ses acolytes. Effectivement, des montants importants ont été alloués aux victimes, mais malheureusement, à cette date, ce jugement n’a pas été exécuté », déclarait l’avocat avant l’annonce du gouvernement. « Parce que d’abord, il y a eu appel et deuxièmement, nous n’avons pas pu pour le moment identifier les biens des condamnés afin de procéder à leur saisie éventuelle et à leur vente », expliquait-t-il, précisant que la date d’ouverture du procès en appel n’a pas encore été programmée.

Réagissant à chaud après l’annonce faite par la présidence hier soir, Me DS Bah ne cachait pas son soulagement : « C’est la première fois depuis l’indépendance qu’un gouvernement décide de prendre en charge l’indemnisation des victimes des violations graves des droits de l’homme ». « C’est un vrai soulagement pour nous, nous attendons désormais que des mesures concrètes soient adossées à ce décret », s’est-il félicité au micro de la chaîne de télévision Reflet Guinée.

Lors d’un entretien donné à Vision Guinée en septembre 2024, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Yaya Kaïraba Kaba, avait estimé que les montants des réparations étaient « faramineux et exorbitant ». « Ils sont au-dessus des prévisions du budget national », avait-il confié, avant de lancer un appel du pied : « Nous fondons l’espoir sur le retour rapide et massif de nos partenaires [étrangers] qui ont toujours accepté de nous accompagner. »

« C'est un ouf de soulagement »

Asmaou Diallo, présidente de l’Association des victimes, parents et amis des événements du 28 Septembre (Avipa, qui représente quelques 700 victimes), sortait d’un rendez-vous au ministère de la Justice mardi 11 mars dernier, lorsque Justice Info l’a interrogée. Diallo fait partie des artisans de la tenue du procès et son organisation, qui inclut l’essentiel des parties civiles, se bat pour que les victimes soient indemnisées conformément à la décision du tribunal. « Il n’y a rien pour le moment, mais ils ont promis de communiquer lorsque tout sera disponible », confiait-elle.

Contactée peu après l’annonce du gouvernement, la présidente de l’Avipa était confiante dans la capacité du gouvernement à tenir sa promesse : « J’avoue que c’est une grande surprise. C’est un ouf de soulagement très très important pour moi. Les victimes en avaient vraiment besoin, parce que ça a été une longue attente pour nous. C’est une autre page qui se tourne. Je suis sûre qu’ils vont le faire, parce qu’au moment du procès quand ils l’ont annoncé ils l’ont fait. Je suis sûre que le président de la transition va veiller à ce que cela se fasse rapidement. »

Le décret lu hier soir à la télévision nationale n’apporte pas de précision sur la façon dont le gouvernement compte mobiliser les fonds nécessaires ni sur le calendrier des indemnisations.

Asmaou Diallo, présidente de l’Association des victimes, parents et amis des événements du 28 Septembre (Avipa), pose devant l'entrée du stade où a lieu le massacre en 2009.
Asmaou Diallo, présidente de l’Association des victimes, parents et amis des événements du 28 Septembre (Avipa). Photo : © Abdourahmane Bah
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