05.06.12 - RWANDA/FRANCE - ATTENTAT DU 6 AVRIL:POLEMIQUE SUR LA VERACITE D' UN DOCUMENT

Paris, 4 juin 2012 (FH) - Le quotidien Libération a lancé un pavé dans la mare le 1er juin, affirmant en une que l'arsenal de l'armée rwandaise comprenait 15 missiles sol-air Mistral français à la veille du génocide, sur la foi d'un document remis aux juges, la veille, par les avocats des officiels rwandais mis en examen dans l'enquête sur l'attentat du 6 Avril 1994. Un colonel belge affirme cependant que le document en question a déjà été discuté au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et « classé comme non pertinent ».

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L’enquête est conduite à Paris par les juges anti-terroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux. Toutes les parties au dossier avaient jusqu'à jeudi pour transmettre leurs observations sur l'expertise balistique qui leur avait été communiquée le 10 janvier 2012. Celle-ci avait privilégié "comme zone de tir la plus probable, le site de Kanombe", où étaient positionnées les Forces armées rwandaises (FAR), et comme arme la plus probable des missiles SA16.

Lors d’un entretien avec l’agence Hirondelle, Alain Maingain, avocat des proches du président Paul Kagame mis en examen par le précédent juge d'instruction, Jean-Louis Bruguière, pour leur rôle dans l'attentat, a expliqué avoir eu le document « entre les mains le 30 mai à 15h28". Il lui a été communiqué par une journaliste britannique spécialiste du génocide rwandais, Linda Melvern, également à l'origine du dossier publié par Libération. Elle affirme avoir exhumé le document, qui était jusque là « enterré dans les archives de l’ONU ».

C’est le confrère de Me Maingain, Léon-Lef Forster, qui a déposé la liste d'armes sur le bureau des juges, le 31 mai.   Sous la mention "UN restricted - Ex-FAR equipment summary as of 6 April 1994", elle figurait à la page 9 d'un rapport du Département des opérations de maintien de la paix des Nations unies (DKPO), daté du 1er septembre 1994, dont l'agence Hirondelle a obtenu une copie. L'objet du rapport étant d'évaluer la capacité militaire résiduelle des ex-FAR, en fuite vers le Zaïre après le génocide, il reprenait cet inventaire non sourcé. La liste indique bien la présence dans l'arsenal des FAR de 15 missiles de défense anti-aérienne Mistral, ainsi que celle d'un nombre "indéterminé" de missiles de la famille des SA-7.

Selon Linda Melvern,  l’inventaire en question aurait été dressé par la Mission des Nations unies pour l'Assistance au Rwanda (Minuar). "Début mai, indique Linda Melvern dans son article, le général Roméo Dallaire, à l'époque commandant en chef de la Minuar, a confirmé l'authenticité de cette liste qui, après inspection des stocks, a été finalement rédigée… le jour même de l'attentat."

"Ce prétendu scoop n'est en réalité qu'un pétard mouillé et rien de plus", a contesté dimanche dans un entretien avec l'agence Belga le colonel Luc Marchal, qui commandait le secteur Kigali de la Minuar. "Ce fameux document soi-disant découvert ‘par hasard’ par Linda Melvern est connu depuis longtemps. Il a été discuté au Tribunal d'Arusha il y a déjà pas mal d'années et classé comme non pertinent", assure Marchal.

Un rapport de Human Rights Watch de décembre 1994, évoquait lui aussi l’existence de cette liste.  

Pour le professeur Filip Reytjens, ancien témoin expert au Tribunal international pour le Rwanda, "on aurait dû vérifier la fiabilité de ce document avant de le publier, on ne sait pas si ce document représente la réalité. On sait juste que ce n'est pas fiable."

La véracité du document est un enjeu important, puisque  l'expertise balistique communiquée aux parties le 10 janvier dernier avait écarté les missiles Mistral. "La mise en service du Mistral 1 est prononcée en janvier 1990, il est utilisé en 1991 durant la guerre du Golfe, mais c'est en 1996 qu'arrive la première commande à l'export. Trop récent, ce matériel n'a pas pu être utilisé lors des faits", avaient conclu les experts. Quant au Mistral 2, sa production n'a commencé qu'en 2000 et "l'emploi de ce matériel ne peut être envisagé".

L'affaire a du coup occulté les compléments d'expertise demandés jeudi aux juges anti-terroristes par les parties civiles. Familles des pilotes et représentant de la veuve Habyarimana ont en effet demandé une contre-expertise acoustique, car indique l'un des avocats, "tout un faisceau d'éléments nous font légitimement craindre que la conclusion très orientée par l'expertise acoustique n'est pas crédible".

Les juges anti-terroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux ont un mois pour indiquer aux parties s'ils font droit à leurs demandes.

 

FP/GF