« Le gouvernement soudanais empêche la tenue d’un procès équitable et c'est à l’institution qui a renvoyé l’affaire devant cette Cour » d’intervenir, a estimé l’avocat des deux accusés, maître Karim Khan, au cours d’une audience tenue mercredi devant la Cour pénale internationale (CPI).
Le Conseil de sécurité des Nations unies avait saisi la Cour des crimes commis au Darfour en mars 2005. En août 2009, les juges avaient délivré des citations contre les deux hommes, qui comparaissent librement.
« Nous sommes ici des représentants très humbles devant cette Cour et encore plus humbles sur la scène internationale, mais le Conseil de sécurité doit prendre une décision, a estimé l’avocat. Lorsqu’il renvoie des affaires devant cette Cour, est-ce qu’il peut tout simplement se laver les mains ? Dire on a fait notre travail et laisser les Etats violer le droit international ? »
En mars 2011, les juges avaient confirmé les charges de crimes de guerre portées par le procureur contre Abdallah Banda, commandant en chef du Mouvement pour la Justice et l’Egalité (MJE) et Mohammed Jerbo, ancien chef d’Etat-major de l’Armée de libération du Soudan-Unité (ALS-Unité). Les deux rebelles sont poursuivis pour l’attaque du 29 septembre 2007 sur la base militaire de la Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS), à Haskanita, au cours de laquelle douze soldats de la paix avaient été tués.
Les avocats de la défense des deux rebelles du Darfour affirment ne pas être en mesure d’enquêter sur le terrain. « Les témoins potentiels qui seraient disposés à venir témoigner pour la défense éprouvent les plus grandes difficultés à passer les frontières, quitter le Darfour et estiment qu’il y a de grands risques à retourner ensuite au Darfour. »
La défense souhaiterait notamment « avoir des informations sur les activités de renseignements menées par le gouvernement soudanais à l’intérieur de la base ». Pour se faire, elle demande aussi au procureur de lui permettre de contacter certains de ses témoins. Plusieurs témoins de l’accusation s’y sont opposés, d’autres n’ont pas pu être de nouveau contactés par le procureur.
En conséquence, maîtres Karim Khan et Nick Koumjian demandent à la chambre de suspendre le procès temporairement « jusqu’à ce que la Communauté internationale fasse son travail ou que le gouvernement du Soudan change ». Pour maître Khan, une suspension temporaire serait préférable à un simple ajournement car « cela mettrait en lumière le fait que ce n’est pas la responsabilité des victimes, de l’accusation ou de la défense. C’est uniquement la faute du gouvernement du Soudan, qui défie le droit international et ne respecte pas son obligation de coopérer. » Khartoum n’a jamais ratifié le traité de Rome, mais la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité l’oblige à coopérer.
Le procureur, comme le représentant des victimes, s’opposent à toute suspension. « Selon la défense, il faudrait attendre que la situation s’améliore pour lever cette suspension. C’est vraiment spéculatif » a affirmé, pour les victimes, Jens Dieckmann. « Les victimes ont des besoins spécifiques et pour elles, le temps à son importance. Plus les victimes doivent attendre les réparations, et plus leur situation empire » a déclaré l’avocat.
Les avocats ont aussi des difficultés à rencontrer l’un de leur client, Abdallah Banda. En décembre 2011, l’accusé s’était rendu à la frontière entre le Soudan et le Tchad, avec sept témoins, mais ils n’étaient pas parvenus à passer la frontière pour rencontrer les avocats. La défense doit aussi communiquer les pièces du dossier aux accusés, dont le document, traduit en Zaghawa, relatif aux charges portées par le procureur. « Nous allons utiliser des personnes de confiance extérieures à la Cour » a indiqué maître Koumjian, « ils leur remettront des documents cryptés, dont le mot de passe est seul connu des accusés ».
SM/GF