Des dizaines de milliers d'Arméniens ont pleuré jeudi les victimes du génocide perpétré par l'Empire ottoman en 1915-1916, recouvrant d'un gigantesque parterre de fleurs le béton du mémorial brutaliste sur la colline de Tsitsernakaberd, qui surplombe la capitale Erevan.
Mais cette fois-ci, la journée de commémoration a été marquée par un certain mécontentement de la population face à la décision du gouvernement arménien de cesser de pousser pour que les pays reconnaissent le génocide.
"Comment pouvons-nous faire confiance à la Turquie, qui a ouvertement soutenu l'Azerbaïdjan pendant la guerre du Karabakh et refuse toujours de reconnaître le génocide?", a indiqué Aram Hayrapetyan, 72 ans, alors qu'il montait lentement la colline vers le mémorial.
"Nous ne devons pas abandonner le combat pour la reconnaissance internationale, pour la justice, et pour nous assurer qu'une telle chose ne se reproduise jamais", a-t-il ajouté.
Cette année, l'absence de grands événements officiels à Erevan pour commémorer le génocide a laissé beaucoup de gens dans l'incompréhension. D'autant plus que le Premier ministre, Nikol Pashinyan a récemment déclaré aux médias turcs que la reconnaissance du génocide n'était plus une priorité pour l'Arménie.
Selon Erevan, jusqu'à 1,5 million de personnes sont mortes entre 1915 et 1916, lorsque les autorités ottomanes ont réprimé la minorité chrétienne arménienne, qu'elles considéraient comme des traîtres pro-russes.
La Turquie ne reconnaît pas ces événements, estime le nombre de morts arméniens entre 300.000 et 500.000 et affirme qu'autant de Turcs sont morts dans les troubles après que de nombreux Arméniens ont pris le parti des forces russes.
L'Arménie et sa diaspora influente ont longtemps milité pour la reconnaissance internationale et, à ce jour, 34 pays, dont les Etats-Unis, la France, l'Allemagne, le Brésil et la Russie, ont officiellement reconnu le génocide.
Mais dans son message diffusé à cette occasion, le président américain Donald Trump s'est abstenu de parler de "génocide", évoquant seulement "une des pires catastrophes du XXe siècle".
Le Comité national arménien d'Amérique a dénoncé "une capitulation honteuse face aux menaces turques", de la part d'un président qui a noué des relations étroites avec le président turc Recep Tayyip Erdogan.
- Rapprochement fragile -
Les relations entre Ankara et Erevan sont encore plus tendues depuis le conflit au Karabakh, mais le Premier ministre Nikol Pashinyan a récemment tenté de réinitialiser les relations.
"Nous devons être forts pour nous assurer que leur sang n'a pas coulé en vain et pour préserver leur mémoire", a déclaré Mher Madoyan, économiste de 76 ans.
Au cours des quatre dernières décennies, l'Arménie et son voisin, l'Azerbaïdjan à majorité musulmane, soutenu par Ankara, ont mené deux guerres dans le Karabakh.
La région était officiellement azerbaïdjanaise, mais à population arménienne - et occupée par un pouvoir pro-arménien depuis l'éclatement de l'URSS au début des années 1990, des troupes arméniennes occupant des pans de territoires voisins.
Lors d'une offensive rapide en septembre 2023, Bakou a repris le contrôle total de la région, provoquant l'exode de plus de 100.000 Arméniens.
Le mois dernier, les deux anciennes républiques soviétiques ont accepté un traité de paix, visant à mettre fin à des décennies de conflit, ce qui pourrait également ouvrir la voie à une normalisation entre l'Arménie et la Turquie, qui n'entretiennent actuellement pas de relations diplomatiques.
"Bien sûr, ce serait bien de signer un accord de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, mais je n'y crois pas", a déclaré Marine Balayan, une femme de 65 ans qui a déposé des fleurs au mémorial. "Je suis dubitative: même après qu'ils l'ont signé, je crains qu'ils (les Azerbaïdjanais) s'en prennent pas à notre pays à nouveau", a-t-elle ajouté.
Mercredi soir, un drapeau azerbaïdjanais et un drapeau turc ont été brûlés alors que des milliers de personnes chantaient des chants patriotiques accompagnées de tambour dans le centre d'Erevan, lors d'une procession aux flambeaux traditionnelle à la veille de la Journée du Souvenir. Ces actes ont ensuite été dénoncés par le bureau du Premier ministre.
"C'est le feu des âmes des un million et demi d'Arméniens morts dans l'enfer génocidaire", a commenté Gegham Manukyan, un député du parti nationaliste Dashnaktsutyun.