Pas moins de quatre nouvelles "chambres africaines extraordinaires", composées d'un total de 20 magistrats, doivent être créées au sein des juridictions sénégalaises pour poursuivre les "crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990", soit de l'accession à la présidence d'Hissène Habré à sa chute, selon le projet de Statut ratifié hier à Dakar.
Une première chambre d'instruction doit siéger au sein du Tribunal régional de Dakar. Les trois autres chambres africaines extraordinaires - la chambre d'accusation, la cour d'assises et la cour d'assises d'appel - doivent pour leur part être logées à la Cour d'appel de Dakar.
Les chambres d'instruction et d'accusation ne seront composées que de magistrats sénégalais, tandis que les chambres d'assises et d'appel seront elles présidées par un magistrat ressortissant d'un autre Etat membre de l'Union africaine. Les 20 juges, dont 13 titulaires et 7 suppléants, doivent être nommés par le président de la Commission de l'Union africaine, sur proposition du ministre de la Justice du Sénégal.
Hissène Habré n'étant pas nommé dans leur statut, ces chambres extraordinaires pourront en théorie "poursuivre et juger le ou les principaux responsables des crimes et violations graves du droit international, de la coutume internationale et des conventions internationales ratifiées par le Tchad". Elles auront compétence, précise le statut, pour le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, la torture, qui sont passibles au maximum d'une peine d'emprisonnement à perpétuité.
"La qualité officielle d'un accusé, soit comme chef d'Etat ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l'exonère en aucun cas de sa responsabilité pénale au regard du présent Statut", y est-il souligné. Et nulle amnistie "ne fait obstacle à l'exercice des poursuites".
Fonds au profit des victimes
Au cours de l'instruction, les victimes pourront se constituer partie civile, par demande écrite au greffier. Des réparations pourront leur être accordées à l'issue d'une condamnation, sous forme de "restitution d'indemnisation ou de réhabilitation", détaille le statut.
A l'image de celui de la Cour pénale internationale, un Fonds au profit des victimes doit être créé à cet effet, qui sera alimenté par "des contributions volontaires de gouvernements étrangers, d'institutions internationales, d'organisations non gouvernementales et d'autres sources désireuses d'apporter un soutien aux victimes".
Aux 20 juges officiant dans les chambres extraordinaires viendront s'ajouter un procureur général et trois adjoints, de nationalité sénégalaise, également nommés par le président de la Commission de l'Union africaine, ainsi que "un ou plusieurs greffiers", nommés eux par le ministre de la Justice du Sénégal. Le président de l'Union africaine devra enfin désigner un administrateur, qui sera assisté "par le personnel nécessaire au fonctionnement des Chambres africaines extraordinaires".
Au minimum, 26 personnes - magistrats et responsables d'administration - doivent dès lors, être recrutées prochainement pour constituer ce nouveau tribunal spécial, dont le modèle s'approche de ceux constitués au Cambodge ou à Sarajevo, pour appliquer le droit international au sein des juridictions locales.
Aucune durée n'a été fixée pour le mandat des Chambres extraordinaires, qui "seront dissoutes de plein droit une fois que les décisions auront été définitivement rendues", indique le statut. Le budget retenu - 8 milliards de francs CFA - est celui qui avait été arrêté entre les bailleurs le 24 novembre 2010, qui représente aujourd'hui 15,3 millions d'USD ou 12,2 millions d'euros.
A titre de comparaison, le coût envisagé à la création en 2004 d'une chambre spéciale pour les crimes de guerre à Sarajevo était d'environ 77 millions de dollars sur cinq ans. En six ans, plus de 110 personnes y ont été jugées. Le coût estimé des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens était lui de 56 millions sur trois ans. Six ans après sa création, elles ont coûté quatre fois plus et n'ont jugé qu'une seule personne. Au Sénégal, seul Hissène Habré devrait être jugé.
Des promesses financières avaient été faites en 2010 par le Tchad, l'Union européenne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Union africaine, l'Allemagne, la France et le Luxembourg, ainsi que plus récemment par la Secrétaire d'Etat américaine en visite au Sénégal, rappelle Human Rights Watch. Son conseiller juridique, Reed Brody, espère dans un communiqué publié mercredi que "étant donné la nature potentiellement historique de ce procès, et les avancées rapides du Sénégal, les donateurs accepteront d'aider au financement du tribunal".
La ministre de la Justice sénégalaise a de son côté fait une autre promesse - "nous démarrerons le procès avec les moyens dont nous disposons" -, qui marque une rupture avec l'absence de volonté politique du précédent gouvernement d'Abdoulaye Wade. Elle l'a assortie toutefois d'une modalité : "Nous attendons que la communauté internationale respecte ses engagements."
FP/ER/GF